31.5.09

899 - Matthew Shipp String Trio "By The Law Of Music"







"... du jeu free éclaté voire déchiqueté au lent écoulement du flux, du travail obstiné sur un motif à la puissance presque terrifiante de larges accords, du foisonnement touffu dans l'espace à la précision des intervalles dans le temps, des masses tourbillonnantes à une sécheresse austère, des ombres étouffantes aux lumières glacées, des petites touches pointillistes aux profondes résonnances, des arêtes tranchantes aux gammes recherchées, des hachures fines aux craquements de la matière, de l'extrême tension à l'explosion libératrice, nous circulons en compagnie de guides aventureux qui ne se permettent aucun relâchement..."

This reissue is one of a series of five classic albums which Matthew Shipp recorded for hatOLOGY, and it presents the pianist in a superb setting with what he calls his "String Trio." Shipp's compositions show a romantic flair, imbued with a spirit of sophisticated discovery and complex relationships, but what makes them so compelling is the manner in which the trio interprets them, each piece ringing with a sense of completeness. Shipp's performances, in particular, are orderly constructs that in retrospect take thoroughly improvised logical paths. It is to his credit that the organic nature of the pieces merges the various elements so well, and the performances of William Parker and Mat Maneri are so utterly compatible and compelling. As with almost any artistic invention, the music can be heard on a variety of levels: as chamber jazz, it has a beauty that rewards even the casual listener, while the sophisticated interrelationships give it a great depth and even charm. Ben Ratliffe notes in his detailed liners that "Shipp's debt to Bach and 20th century classical composers is obvious," and he quotes the pianist as saying he does not "know what jazz is." Whatever this music is called, the elements of free improvisation, melodic invention, and syncopated rhythms combine to create something of lasting value, evidenced in part by the relative popularity of such seemingly esoteric fare. The final piece by Ellington connects a line that puts Shipp within a tradition that places improvised music outside any pre-conceived modes.
All Music Review by Steven Loewy

898 - Milicien un jour, milicien toujours : la "chasse" à l'humain est ouverte (demain, les camps !)

Miliciens toulousains qui glissent sur des trottoirs proprement désinfectés (agent orange ? zyklon B ?) sous l'oeil des marchands de gants et de bérets (mains propres et tête haute).

Excédés, des riverains nettoient le camp de Roms.


Des riverains, excédés par les nuisances derrière la médiathèque, ont jeté du produit désinfectant.


L'affaire a dégénéré dans la journée du mercredi 20 mai, vers 13 heures. Ils étaient trois riverains, vêtus de vêtements sanitaires, et armés d'un gros bidon pulvérisateur rempli de produit désinfectant. Devant une vingtaine de témoins, ils ont aspergé de liquide désinfectant le campement de ces immigrants d'origine roumaine, qui vivent sur place depuis plusieurs mois. Ils ont jeté sur le trottoir leurs matelas et couvertures.

«C'est la milice», ont-ils répondu à une mère de famille du quartier, qui a voulu s'interposer.

Ils auraient également projeté du désinfectant près du visage d'une des Roms, âgée d'une soixantaine d'années, qui a été légèrement incommodée. La police municipale est intervenue pour mettre fin à l'opération.
Sur cette place de la Légion d'Honneur, derrière la médiathèque Cabanis, la situation des Roms stagne depuis plusieurs mois. Ils se sont installés là, car les petits halls d'entrée de ces bâtiments neufs leur permettent d'être à l'abri de la pluie. Certains ont trouvé refuge dans le parking souterrain réservé aux résidents. «il faut Des sanctions exemplaires» «C'en était trop, raconte une riveraine. Je n'ai pas participé directement à l'opération, mais je la soutiens. Personne ne nous a écoutés. Nous avons écrit à la mairie, au Grand Toulouse, à la préfecture. Ils préfèrent laisser pourrir la situation. Et qu'on ne dise pas que tout va bien, que ces Roms sont propres. C'est un bidonville. Nous faisons appel à des sociétés de nettoyage pour enlever leurs excréments, dans le parking et ailleurs. Ils jouent au foot et font du bruit, tard le soir. Ils font la manche partout.»

De son côté, la section toulousaine de la Ligue des Droits de l'Homme dénonce fortement cette action, et demande au parquet d'ouvrir une enquête. «Si la justice ne fait rien, c'est un feu vert qui est donné à la constitution de ce genre de milices. Il faut que le parquet prenne des sanctions exemplaires», explique un responsable. «C'est la première fois que de tels faits se produisent, dit un représentant du collectif SDF toulousain. Des riverains qui se réunissent, préméditent une telle action, ça fait peur.» Hier, la communauté urbaine du Grand Toulouse a demandé, devant le tribunal d'instance, l'expulsion d'une vingtaine de ces Roms, en situation irrégulière. Une trentaine d'entre eux a déjà été ramenée en Roumanie le 11 mai dernier.

«J'assume totalement» Il est à l'origine de l'opération. Ce responsable de conseil syndical, et résident de la place où se trouvent les Roms, «en a eu assez». «J'assume totalement mon geste. Il s'agissait avant tout d'attirer l'attention des pouvoirs publics. Ils ne font rien. Ce trottoir est devenu une zone de non-droit. Ces Roms ne sont pas agressifs, on a parlé avec eux, on leur a dit qu'ils ne pouvaient pas rester là, comme ça. Mais dans le quartier, les balcons sont visités, les poubelles fouillées. C'est devenu insupportable. Oui, nous avons aspergé le trottoir avec du désinfectant. Non, nous n'avons pas pulvérisé le visage d'une Rom. Nous n'avons touché personne. Et non, nous ne craignons pas les poursuites.»

La Depeche du Midi du 30 / 05 / 2009

897 - Cerveau lavé

896 - Gilad ATZMON "Exile"


Gilad Atzmon: soprano and alto sax, clarinet, shabbaabeh flute
Frank Harrison: piano
Yaron Stavi: double bass
Asaf Sirkis: drums, bandir and tray

Invités :
Romano Viazzani: accordion (4, 9)
Koby Israelite: accordion (2, 5, 6, 8)
Peter Watson: accordion (1)
Dhafer Youssef: vocals, oud (8)
Marcel Mamliga: violin
Gabi Fortuna: Romanian flute
Reem Kelani: vocals (1, 2)
Tali Atzmon: vocals (9)

1. Dal'ouna on the return (trad. Palestinian)

2. Al-Quds (Gilad Atzmon)

3. Jenin (Gilad Atzmon)

4. Ouz (Yochanan Zaray & Gilad Atzmon)

5. Orient house (Gilad Atzmon)

6. Land of Canaan (Gilad Atzmon)

7. Exile (trad. Ladino, arr. Gilad Atzmon)

8. La Côte Méditerranée (Gilad Atzmon)
9. Epilogue (Gilad Atzmon)

The first bars of 'Dal'ouna', an ominous bowed double bass, an incantatory vocal in Arabic from the Palestinian singer Reem Kelani and soprano saxophone from Gilad Atzmon himself, usher you into Exile with a striking introduction.

This gives way to a song driven by a repetitive bass figure, jumpy Israeli riffs, syncopated accordion and subtle drums. Somewhere between jazz and the music of the Middle East, and exploiting the similarities between the music and the experiences of the Jewish and Palestinian peoples.

The song perfectly states Gilad Atzmon's aim: similarity should outweigh difference; difference should be celebrated.

Atzmon explicitly makes the point that modern Israel was founded on a notion of 'return' and asks: "How can modern Zionists ... be so blind when it comes to a very similar Palestinian desire?" To make his point, he's taken traditional Jewish songs, the anthem of the '67 War, a melody from the film Salach Shabati and Palestinian songs, 'Dal'ouna', 'Ramallah', 'Imhaaha', and reinterpreted them in a jazz context.

Middle Eastern basslines and and harmonies pass through jazz chord voicings and arrangements, a chorus will give way to a synchronised Middle Eastern riff; Hebrew lyrics about longing for homeland are sung in Arabic, an Eastern European ballad about a town burnt in a pogrom is re-christened 'Jenin'.

Much of the album's success has to be down to Gilad Atzmon's splendid command of the idioms of jazz and Middle Eastern music. His soprano and alto sax slips between the two with a stinging melancholy ('Jenin'), hopeful insistence ('Al-quds') and something like joy ('La Côte'), while Frank Harrison on piano and Yaron Stavi (bass) and Asaf Sirkis (drums and percussion) all play with a wonderful collective touch which is subtle, energetic and unconventional.

While some may find Exile's premise provocative, it's satisfying music that reaffirms the essentially constructive nature of collaboration.Neil Bennun BBC Music

On avait manqué il y a quelques mois le Gilad Atzmon écrivain pour cause de report sine die de la traduction de son premier roman, Le Guide des égarés (on guette soigneusement les prochains programmes de son éditeur français, Phébus) : on ne passera en revanche pas à côté du Gilad Atzmon musicien (il est saxophoniste, clarinettiste et flûtiste) et de cet Exile explicitement placé sous le signe d’une Palestine qui hante tous les versants de son oeuvre (les notes de pochette ne font aucun mystère des enjeux politiques de sa démarche). [...] Bernard Quiriny Chronic'Art

[...] A l’heure où s’érigent les murs et s’allongent les clôtures… [...] Arnaud Stefani CitizenJazz

“I do speak Hebrew and my homeland is Palestine. Unlike Israel, a racist and nationalist political apparatus, Palestine is a piece of geography. Palestine is authentic and genuine; Israel is artificial and imposed.” Gilad Atzmon, entretien avec Manuel Talens

Gilad Atzmon est quelqu’un qui a une position unique, il est sans précédent dans son expression, et sans équivoque dans ses déclarations. Musicien de jazz né en Israël et militant antisioniste, il diffuse et proclame ses contemplations anti-israéliennes de manière explicite, à chaque fois qu’il en trouve l’occasion.

En tant que musicien (il joue des saxophones soprano, ténor et baryton, de la clarinette, de la zurna et de la flûte), Atzmon a remporté plusieurs prix internationaux, dont le BBC Jazz Award, en 2003, et il est considéré l’un des artistes les plus doués et créatifs dans sa catégorie.

En tant que militant antisioniste, bien qu’il soit d’origine israélienne, Gilad Atzmon dénonce sans relâche son appartenance à l’Etat juif, et il proclame qu’il n’a fait que naître là-bas, rien de plus, et qu’il ne ressent aucune sympathie, aucune compassion ni aucune nostalgie envers l’Etat occupant qu’est Israël.

Durant les dernières années, il a écrit un grand nombre d’articles et prononcé moult conférences. Il se produit de manière régulière sur scène afin de condamner l’agressivité historique d’Israël, qui se déchaîne dans les territoires occupés de Palestine, et actuellement, il déploie un lobbying dynamique en se rendant dans de nombreux pays afin d’augmenter la connaissance des opinions publiques au sujet du massacre de Gaza et de la boucherie dont ont été victimes des civils innocents, principalement des enfants et des femmes, dans la bande de Gaza.

Durant son tout récent déplacement en Grèce, il a répondu à de nombreuses interviews et il est apparu dans plusieurs émissions de télévisions (il a été également interviewé à la radio), au cours desquels il a exprimé sa condamnation sans appel du génocide israélien à Gaza. Il pense que le peuple grec est - ce qui est heureux - plus au courant, mieux informé, et que c’est la raison pour laquelle les Grecs ont déployés de grands efforts pour faire connaître leur sympathie et leur solidarité à la population de la bande de Gaza.

Vous pourrez lire ci-après le texte complet d’une interview exclusive de Gilad Atzmon, dans laquelle sont abordés tout un ensemble de questions relatives au massacre en cours à Gaza, aux crimes israéliens contre l’humanité et à la nécessité que les responsables israéliens soient jugés par un tribunal international impartial.

Kourosh Ziabari [KZ] : Pour commencer, je voudrais connaître votre opinion sur le conflit en cours à Gaza, que d’aucuns ont qualifié de « bataille la plus catastrophique » de la dernière décennie. Que pensez-vous du massacre de civils, enfants, femmes et bébés, à Gaza ?

Gilad Atzmon [GA] : Ce à quoi nous assistons, à Gaza, c’est au déni de l’holocauste en live. L’Etat juif perpètre la barbarie à l’état pur, et pourtant, le monde reste silencieux. Une fois encore, nous sommes confrontés à la vérification du fait qu’avoir donné un mandat en vue de l’obtention d’un foyer national au peuple juif s’est avéré une erreur très grave, et même mortelle. La seule question, aujourd’hui, c’est de savoir de quelle manière démanteler cette créature belliqueuse monstrueuse, sans transformer notre planète en une boule de feu.

[KZ] : Vous critiquez l’Etat israélien impitoyablement ; néanmoins, vous aurez sans doute remarqué que les médias et les porte-parole israéliens collent sans autre forme de procès l’étiquette « traître » à tous les citoyens israéliens - journalistes, professeurs ou orateurs - qui condamnent l’Etat juif en raison de ses massacres et de ses agressions militaires. Comment résolvez-vous cette problématique ?

[GA] : Tout d’abord, permettez-moi de vous dire que ça n’est pas si terrible que cela, d’être un « traître », dans un pays assassin... Toutefois, je ne me considère pas Israélien. Je suis né là-bas, en Israël, mais cela fait des années que je n’y vis plus, et que je n’y ai même pas remis les pieds. Ayant réalisé que je résidais dans un pays volé, en tant qu’oppresseur, j’ai emballé mes saxos et je me suis tiré. Dans une certaine mesure, je peux être considéré comme « un juif fier de se haïr lui-même ». Je suis mort de honte de moi-même et de ceux qui ont été mes concitoyens. De cette honte, j’en parle ; j’écris des articles à son sujet, et je compose de la musique en essayant de la surmonter.

[KZ] : Les responsables israéliens prétendent qu’ils ne visent qu’à exercer des représailles en attaquant les bases du Hamas, et qu’ils ne tuent que des individus appartenant à une armée. D’un autre côté, ils interdisent l’entrée des journalistes et des correspondants des médias dans la bande de Gaza occupée, et ils les empêchent de diffuser la réalité. Comment peuvent-ils justifier une telle contradiction ? Pourquoi ne laissent-ils pas entrer les journalistes à Gaza, s’ils sont sincères dans leurs allégations ?

[GA] : Je ne pense pas que les Israéliens en aient quoi que ce soit à cirer, des contradictions ou dans l’illogisme. Les Israéliens se foutent totalement de leur image ; il faut le savoir.

Je vais essayer de développer. Israël est désormais le plus grand ghetto juif qui ait jamais existé. Un ghetto juif, c’est, fondamentalement, un endroit où les juifs puissent donner libre cours à leurs symptômes, collectivement, strictement entre eux, sans avoir à surveiller ce qu’ils disent, pensent ou ressentent. Israël s’est d’ores et déjà entouré de murailles gigantesques, simplement afin de donner au mot ségrégation un sens bien concret. Et pourtant, le ghetto juif israélien est très différent du ghetto est-européen. Alors que, dans le ghetto européen, les juifs étaient intimidés par la réalité qui les entourait, dans le ghetto israélien, ce sont les juifs qui intimident les autres, les non-juifs. Ils veillent à ce que le Moyen-Orient, tout le Moyen-Orient, soit maintenu dans un état d’anxiété constante.

La mentalité du ghetto est un outil analytique très utile. Cet outil nous aide, par exemple, à comprendre pourquoi le Premier ministre Olmert s’est permis de se vanter publiquement d’avoir humilié le président Bush et sa secrétaire d’Etat Condoleezza Rice. Dans le ghetto, les juifs se sentent en sécurité ; ils peuvent dire tout ce qui leur passe par la tête, tout en étant parfaitement assurés que strictement rien ne filtrera en direction des goyim. Dans le ghetto, il n’y a qu’une seule logique qui prévale : la logique juive.

Toutefois, dans les années 1950, le Premier ministre Ben Gourion adopta le cadre du ghetto juif dans un mantra politique israélien qu’il formula éloquemment comme suit : « Peu importe ce que les goyim disent, la seule chose qui ait une quelconque importance, c’est ce que les juifs font ! » Apparmment, le mantra du ghetto juif à la sauce Ben Gourion a réussi à couper les Israéliens du reste de l’humanité. Mais c’est encore plus grave que cela, comme nous le voyons aujourd’hui à Gaza, et comme nous l’avons vu dans tous les conflits déclenchés par Israël : ce mantra du ghetto juif détache le paradigme hébraïque de toute notion d’éthique humaine.

C’est cette philosophie même qui trouve aisément sa traduction dans le pragmatisme militaire mortel d’Israël. « Manifestement, ce que l’Onu ou les médias du monde entier peuvent bien penser n’a pas réellement d’importance ; seul importe ce que « Tsahal » fait ».

Bon. Maintenant, je vais essayer de traiter de la question du journaliste étranger. Les chefs militaires israéliens savaient très à l’avance que Gaza allait devenir un bain de sang pour les civils palestiniens. Manifestement, ils savaient d’avance les armes qu’ils allaient utiliser. La dernière chose dont ils aient eu besoin, c’étaient des journalistes étrangers informant leurs rédactions respectives d’un massacre en cours à Gaza. Les médias mondiaux et le « droit de savoir » n’intéressent nullement Israël. Dans l’Etat du ghetto juif, une seule chose importe : ce que fait « Tsahal »...

Les Israéliens voulaient terminer leur (« Tsahal ») boulot avant tout : tuer un maximum de Palestiniens, détruire Gaza et en démanteler l’infrastructure, histoire de recouvrer leur pouvoir de dissuasion, qu’ils avaient perdu depuis bien des années. Tout simplement, ils ne voulaient pas avoir des journalistes écrivant depuis Gaza dans les pattes...

[KZ] : Etant donné cette situation tellement complexe, quelle est la principale raison, à vos yeux, pour laquelle Israël a toujours bloqué les bateaux chargés d’aide humanitaire qui avaient mis le cap sur Gaza ? Y a-t-il un quelconque danger à laisser entrer de la nourriture, des médicaments et des premiers secours destinés à une multitude de civils n’ayant pas le moindre accès au monde extérieur ?

[GA] : La réponse est presque étymologique : parler d’ « action humanitaire », cela présuppose avoir une familiarité profonde avec la notion d’humanisme. Les Israéliens n’ayant strictement aucun (zéro) engagement vis-à-vis de l’éthique ou de l’humanisme universel, nous ne saurions attendre d’eux qu’ils s’adonnent à une quelconque action humanitaire, ni qu’ils se vouent à une quelconque cause humaniste. Ces derniers jours, Israël a bombardé des hôpitaux, des écoles, des centres d’aide aux réfugiés et des centres de distribution de ravitaillement de l’Onu. Il nous faut bien l’admettre : l’Etat juif est une entité outrancièrement criminelle qui n’a pas son pendant. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas nous attendre à ce qu’ils entendent une quelconque exhortation à l’humanité. Non, ce à quoi nous devons nous attendre, c’est à voir Israël se comporter en tant que ce qu’il est, c’est-à-dire l’incarnation du mal absolu. Et malheureusement, force m’est bien de reconnaître qu’ils ne nous décevront jamais, sur ce point.

[KZ] : L’utilisation de phosphore blanc dans les bombes que l’armée israélienne balance sur la tête des civils, chez eux, à Gaza, semble une violation manifeste des règles internationales, notamment de la Convention de Genève. Y a-t-il un moyen de sanctionner ces crimes de guerre ?

[GA] : Je ne suis pas juriste, aussi je ne peux pas vous répondre de manière adéquate à cette question. Toutefois, il est très intéressant de noter qu’en dépit d’une très large condamnation, dans le monde entier, d’Israël, pour son utilisation de bombes au phosphore blanc, l’armée israélienne n’a jamais cessé d’en employer, et ce n’est pas la première fois qu’elle utilise des armes non-conventionnelles contre des civils, suscitant l’outrage de la communauté internationale. Chaque jour, nous voyons ces bombes (au phosphore) mortelles explosant au-dessus de cibles civiles. Une fois encore, nous constatons que tout ce que les goyim peuvent rien dire n’a strictement aucune importance : seul compte ce que les juifs font. Et que font-ils : ils assassinent des civils palestiniens... J’ajouterai que les Israéliens ne cessent de se lamenter au sujet de « potentielles » armes de destruction massive que d’autres pays pourraient détenir, et cela semble parfaitement pathétique, dès lors qu’ils possèdent eux-mêmes un arsenal obscène de têtes nucléaires. Etant donné qu’ils se foutent totalement de la légalité internationale, pourquoi voudriez-vous qu’ils aient quoi que ce soit à cirer de l’opinion publique mondiale ?

[KZ] : Provisoirement, même si la guerre s’arrêtait dès aujourd’hui et même si Israël se retirait des territoires occupés, le bilan du conflit est de plus de mille trois-cents tués et plus de 70 % de l’infrastructure de la bande de Gaza, dont les habitations et les bâtiments publics, ont été détruits. Comment pourrait-on administrer une réelle justice à Israël, et lui faire payer ses crimes contre l’humanité ?

[GA] : Encore une fois, je ne suis pas un expert juridique. Ce n’est pas que je veuille me défiler. Toutefois, ma spécialité, c’est l’identité juive et l’identité israélienne. Ce qui m’intéresse, c’est la métaphysique de l’inclination génocidaire des Israéliens. Je suis en train de réfléchir à cette Identité qui est capable d’infliger une telle douleur et un tel carnage à des civils innocents. Ce qui m’interpelle, c’est cette banalité du mal que démontre le summum de la barbarie d’Israël, et le soutien juif institutionnel à ce mal, dans le monde entier. Je pense qu’une fois que nous aurons commencé à prendre conscience de la nature de l’ennemi que nous devons abattre, nous pourrions mieux savoir de quelle manière le combattre. Pour être franc, les tribunaux internationaux, je n’y crois pas. Une prise de conscience générale, très largement reconnue, que l’Etat juif n’est rien d’autre qu’une barbarie à l’état pur me semble beaucoup plus efficace.

[KZ] : Une dernière question : quel est le message, qu’en tant qu’artiste israélien, vous adressez au peuple palestinien ; à ces mères qui ont perdu leurs enfants, ou à ces enfants traumatisés qui subissent le choc d’avoir perdu leurs parents ?

[GA] : Mes très chers frères et sœurs. Cela brise le cœur de voir la mort et le carnage que vous inflige l’Etat juif. Nous voyons tous ce que vous subissez, et nous savons tous que la justice est de votre côté. Je vous supplie de ne pas perdre l’espoir. Le mal connaît toujours une fin, et le mal israélien n’échappera pas à cette règle. Israël finira. Mais nous devons faire quelque chose, nous devons agir, pour que cette fin se produise.

Toutefois, il y a au moins une chose qui est parfaitement claire. L’Occident soi-disant « libéral » a été incapable de vous sauvez, hélas, trois fois hélas ; les pays arabes, encore une fois, ont été incapables de se joindre à votre combat. Aussi triste que cela soit, autant la justice est de votre côté, autant vous êtes seuls, encore une fois, à être confronté avec le mal absolu.

Israël a une quantité énorme de bombes, dans son arsenal. Mais vous, mes frères et mes sœurs palestiniens, vous avez ces choses qu’eux, ils n’ont pas : la justice est de votre côté, l’humanité est dans vos rues, vous avez le moral, et vous avez l’arme suprême, à savoir l’arme démographique.

Le pays, c’est la terre de Palestine ; Israël n’est qu’un Etat.

Les Etats viennent, et puis ils disparaissent. La terre, elle, est éternelle.

Vive la Palestine !


Kourosh Ziabari

895 - Annelies Monseré "Somewhere Someone"


HIGHLY LIMITED RELEASE PACKAGED IN HANDSTAMPED, HANDWRITTEN SLEEVES* Somewhere Someone is Annelies Monsere's first proper solo output since 2005, and it all focuses on a narrow range of very simple, elemental organ tones, keyboards and chimes in conjunction with a Christina Carter-like voice. There are six beautiful songs assembled on this highly limited 7" release (just 185 copies for the world), beginning with the almost ecclesiastical sounding title track and continuing with the stark loneliness of 'Tree', complete with its waifish piano tones. once again the Christina Carter comparisons are bound to arise on 'A Solitude', which layers Monsere's voice in a startlingly chilly, gothic drone-folk fashion. The B-side brings slightly creepy xylophone tones on 'Golden', and while by rights this should bring a lightness to her music, the end result is downright spine-chilling - it's all so very sparsely laid out. 'A Darkness' and 'II' close proceedings with a more brooding, minor key minimalism, bringing together awkwardly stern violin motifs and piano keys for a most unsettling pair of songs. Excellent.
Boomkat

Cet EP laisse des effluves de poison nonchalant. S'endormir, pour ne pas se reveiller.
Magnifique.
Les fleurs (et leurs parfums) du mal, version musicale et (c)hantée.

All instruments by annelies monseré
Mastered by brian john mitchell
Limited to 185 copies, with handwritten and stamped artwork


somewhere someone
tree
a solitude
golden
a darkness
II

Morc Records

30.5.09

894 - Sunn O))) "Monoliths & Dimensions"



Montez le son.
Totalement.

Cette "chose" là va vous hanter des heures et des heures.
Longtemps.

Les "spécialistes" parlent de drone massif (?).
Sauf qu'il y a aussi des cordes, des cuivres, des chœurs, du cor, du piano, de la harpe....

Stephen O’Malley et Greg Anderson ont collaboré cette fois avec Eyvind Kang, Oren Ambarchi, Attila Csihar, Dylan Carlson, Julian Priester et Stuart Dempster.

4 titres essentiels :
01. Aghartha (17:34) 02. Big Church (09:43) 03. Hunting & Gathering (Cydonia) (10:02) 04. Alice (16:21)

If your interest in Sunn O))) stems primarily from the band's patient employment of tone and time as channeled through electric bass, electric guitar, and stacks of amplifiers, you might hate "Alice", the brilliant closing track of its seventh and arguably best album, Monoliths & Dimensions. Sure, these 17 minutes are loud and torpid, easing from one note to another, distortion dripping from each new intonation. But "Alice" finds Sunn O))) exploiting a newfound spaciousness and elegance. As its founders, Greg Anderson and Stephen O'Malley, crawl across a loose blues progression that mirrors those of slow metal fountainhead Earth, a swell of French and English horns, violin and viola, harp and light percussion rises. Surrounding the guitars, they're like the perfect summer haze, refracting and softening the season's relentless sunlight. "Alice" ends with a fanfare of sorts for this small orchestra. Its long tones are light and lifting, a little like Stars of the Lid commissioning Igor Stravinsky. More Fluorescent One than Black Two, it's completely unexpected, mesmerizing, and beautiful.

Well, not completely unexpected: Like the rest of Monoliths & Dimensions, "Alice" offers a culmination of most everything Sunn O))) have done right during their decade of volume-based plunder. Anderson and O'Malley have long rendered rock riffs with painstaking deliberation, consistently adding the ideas of elite collaborators and occasional no-explanation experiments. The Grimm Robe Demos took to early Earth, while Black One ground an Immortal black metal burst into one 10-minute tectonic motion. Merzbow, Xasthur's Malefic, Thrones' Joe Preston, and Mayhem's Attila Csihar stood among high-ranking contributors. Pieces like "bassALIENS" (23 minutes of electric bass tone exploration) and "My Wall" (25 minutes of Julian Cope verbiage battered by cascades of amplifier hum) ensured that Sunn O))) was doing more than swapping chords for feedback.

Monoliths & Dimensions takes the idea even further, gathering collaborators-- from Csihar and Earth's Dylan Carlson to Australian drone master Oren Ambarchi and vocalist Jessika Kenney, who sang so well on Wolves in the Throne Room's Two Hunters-- for four tracks that push Sunn O))) in directions unforeseen: Riffs come wrapped in strings. Conch shells share space with upright bass fleets. Both an operatic female choir and Portland noise nut Daniel Menche sing opposite the Mayhem frontman. All told, as on 2007's revelatory Black One, Monoliths & Dimensions indicates that Sunn O))) and the possibilities of its slow music stretch beyond what we imagined.

About three-dozen people contribute to Monoliths' four cuts. Two of these tracks exceed 16 minutes, while their counterparts either approach or encroach on the 10-minute mark. It might seem that only size matters for Sunn O))) here, but that's just the surface. None of these pieces are big for bigness' sake. Rather, they all bear intricacies that erode them from within. A given piece's size becomes its fatal flaw. The strings and synthesizers ascend through the gaps in the sluggish riffs of "Alice", for instance, composer Eyvind Kang arranging the parts to crack and cover their host. By track's end, the guitars are gone, ruins eviscerated by a new growth of ivy.

Then there's "Big Church". The female choir led by Kinney, a four-guitar army including Ambarchi and Carlson, and the manipulated Middle Earth incantations of Csihar clash during three three-minute sections. The guitars or the voices invoke each third, and their parts slip by one another like the pieces of an amoeboid jigsaw puzzle. Csihar always overruns them, though, pushing each section into a chaotic climax. On "Hunting and Gathering (Cydonia)", Csihar cloaks some of the album's most literal lyrics-- "They take the world and the earth, breathing fire on the endless oil seas"-- in his native Hungarian, but the music makes the message clear. Each time Csihar finishes a set of imprecations, a triumph of vocals and horns rises and exalts while the electric riff subsides. This is a new battle hymn.

And there's the album's other giant, opener "Aghartha". As close as Monoliths gets to the classic drone of Sunn O)))'s past, O'Malley and Anderson paw at chords on perfectly engineered electric bass and guitar. Again, a de facto chamber ensemble joins, as a droning Tibetan horn (the two-player Dung Chen) displaces the air beneath the guitars and sharp piano chords splinter whatever they encounter. These sounds sublimate into one drone, forcing the guitars out of the frame before fading into silence themselves. Only the sound of rushing water washes beneath Csihar's daunting voice, as he speaks of "a tunnel [that] gouges in the shapes of the stream in the great abyss of the sky" in booming, broken English. He's looking for new sparks to destroy the old order, for fresh energy to upset the established form. And that's exactly what Monoliths & Dimensions does: It takes one of the world's most lauded loud bands and rearranges its game with an inspiring cycle of risk and reward.

Perhaps Black One came with a caveat emptor or two. You'd better like your music dark and relentless, and contextual understandings of Sunn O))) and black metal and drone helped. Lacking those things, perhaps you suspended your disbelief enough to appreciate Malfeic's scorched voice or, unfortunately, dismissed it outright as two self-serious dudes and their fucked-up friends dicking around with darkness. Incorrect, I think, but understandable. Monoliths & Dimensions requires no such warnings. Per Sunn O)))'s long-standing dogma, "Maximum volume [still] yields maximum results." But this time, there's enough musical range and temperance to usher even the most resolute naysayer into this intricate wonderland.

— Grayson Currin, May 29, 2009

893 - Nostalgia 77 Sessions, Julie & Keith Tippetts


01. You Don’t Just Dream When You Sleep
02. Film Blues
03. Sketch For Gary / Billy Goes To Town
04. Mice
05. Rainclouds
06. Lapis Blue
07. Soothing The Rattlesnake
08. Miniature
09. Vienna
10. Visions
11. Okinawa
12. Temple
13. Four Whispers For Archie’s Chair
14. New Inner City Blues

This should be big news: hip experimentalists Nostalgia 77 are joined by the royal couple of UK free jazz to play a listener-friendly, retro-ish mixture of bop, blues and folk-tinged songs.

As Julie was once Julie Driscoll – the grittier, jazzier Dusty Springfield who sang "This Wheel's on Fire" with Brian Auger and the Trinity – and she hasn't sung, nor pianist Keith played, tunes like this for 40 years, the rarity value is huge. And she sounds absolutely great.

Phil Johnson

892 - Jean DEROME "Je me souviens - Hommage à Georges PEREC / Tu r'luttes"


Je me souviens - Hommage à Georges Perec

1 Sewpent mègwe
2 Queneau, mon pote
3 Le chien aboie
4 Ah Paris!
5 Frappe la route
6 Hot Club
7 Limonaire
8 (ils sont) Jeunes, ils sont fous!
9 V comme Ventura
10 Un homme qui dort
11 Zéro zéro 7
12 Dauphin vert
13 ()
14 T’en fais pas poupée
15 Galop viennois
16 Yogi Boogie
17 Lettre N
18 La pompe
19 Ou, waou
20 Mashed Potatoe Twist
21 Blouse de nuit
22 Xavier C.
23 Les klaxons qui font reuh! reuh!
24 Western spaghetti
25 L’idée d’Eddy
26 Rêverie

Tu r’luttes

27 Ouverture(s)
28 Flammèches - tu r’luttes
29 Ch’mis’ brunes
30 Cinéma
31 Profondément heureux de vivre
32 La vie agricole
33 Le temps passe don’ vite
34 La marche victorieuse des «partitionnistes»
35 Babel
36 Échantillons
37 Sculpture
38 La vie en ville
39 Festival du XXè siècle
40 La vie en forêt
41 On va (n’)en manger une belle (pis eux(z) aut’ aussi)
42 Un mauvais moment à passer
43 La vie est courte


Compositeur: Jean Derome
Interprètes: Muhammad Abdul Al-KhabyyrLouis BabinPierre CartierMichel F CôtéIsnel Da SilveiraVéronique DelmelleKaat De WindtGuillaume DostalerMichel DupireMichel HatzigeorgiouJoane HétuIvanhoe JolicœurJean KowalskiDiane LabrosseRobert Marcel LepageFrancisco LozanoRené LussierDanielle Palardy RogerJan RzewskiJean SabourinPierre TanguayMartin Tétreault

If authenticity is your main attraction to revivalist music, Jean Derome and company should be right up your alley. On this stunning 43-track CD, Derome leads the way through two compositions that are subdivided into smaller pieces. The first 26 tracks, recorded in 1994, pay homage to the Oulipian Georges Pérec. In a true Oulipian approach, Derome produces tightly-wound tracks that are strict in arrangement yet mathematically complex, ranging in style from sultry jazz to circus music to mod-sounding surf music. There are even a few sprinklings of Monk emanating from some of the tunes, and the disc will be easily accessible to swing-band fans yet still eccentric enough to entice those searching for musical peculiarity. The second half of the CD, entitled Tu r’luttes, shows the more improvisational side of Derome and crew, as a chaotic, free jazz strain runs through the tracks. Think Zorn’s extremism without his aural ferocity. With many of your favourite Ambiances Magnetiques artists in tow, including Pierre Tanguay, René Lussier and Frank Lozano, Derome proves his amazing compositional ability while showcasing the outrageously overlooked Canadian talent that’s available. We’ve said it before, but if you haven’t checked out the Canadian experimental scene, you’re missing out on some awesome musical energy.
Andrew Magilow in Splendid E-Zine

Déjà l’intitulé est clair. Et que rajouter aux indications du livret/dépliant? Tout y est dit: une sélection d’une soixantaine de «souvenirs» musicaux de Georges Perec, résumés en 26 tableaux, dont on nous indique à la fois la dédicace, le modèle/pastiche, les procédés, et même les lectures qui s’y rapportent. Mais vous n’avez pas tous, sous les yeux, ces indications. Disons alors que cette suite dédiée à Georges Perec reflète son environnement musical, fait d’ambiance de baloches, de musique de cirque, d’orchestre de jazz et de trompette bouchée, de St Germain et de rive gauche des années 50 et des années 60 débutantes, époque pleine de dérision insouciante, époque d’une aprés-guerre en pleine renaissance où l’optimisme affiché dissimulait avec plus ou moins de réussite des interrogations plus existentielles.

Jean Derome, dont nous connaissions déjà les qualités d’arrangeur pour une grande formation (Confiture de Gagaku Victo 05) fait montre ici de toute sa finesse et de son propre sens de l’humour, par ailleurs des plus communicatifs.

De facture plus actuelle, les "17 jeux varies pour 12 improvisateurs" (les six Québécois de l’Ensemble Flammeches, et les six Belges de l’EnsemWe White Wine Dark Grapes) de Tur’luttes faits de collages, bruitages, et rappelant quelque peu certains procedés utilisés par John Zom, participent cependant du même esprit, non sans une référence (volontaire?) à un dessinateur-humoriste français, Gotlib ("pervers pépére").

Au final, un certain esprit français, des Québécois, des Belges… Jean Derome a bien mérité de la francophonie!
Pierre Durr in Revue & Corrigée

28.5.09

890 - Un entretien avec Julien Coupat

Julien Coupat : "La prolongation de ma détention est une petite vengeance"

LE MONDE | 25.05.09 | 12h10 • Mis à jour le 25.05.09 | 12h33

oici les réponses aux questions que nous avons posées par écrit à Julien Coupat. Mis en examen le 15 novembre 2008 pour "terrorisme" avec huit autres personnes interpellées à Tarnac (Corrèze) et Paris, il est soupçonné d'avoir saboté des caténaires SNCF. Il est le dernier à être toujours incarcéré. (Il a demandé à ce que certains mots soient en italique).

Comment vivez-vous votre détention ?

Très bien merci. Tractions, course à pied, lecture.

Pouvez-nous nous rappeler les circonstances de votre arrestation ?

Une bande de jeunes cagoulés et armés jusqu'aux dents s'est introduite chez nous par effraction. Ils nous ont menacés, menottés, et emmenés non sans avoir préalablement tout fracassé. Ils nous ont enlevés à bord de puissants bolides roulant à plus de 170 km/h en moyenne sur les autoroutes. Dans leurs conversations, revenait souvent un certain M. Marion [ancien patron de la police antiterroriste] dont les exploits virils les amusaient beaucoup comme celui consistant à gifler dans la bonne humeur un de ses collègues au beau milieu d'un pot de départ. Ils nous ont séquestrés pendant quatre jours dans une de leurs "prisons du peuple" en nous assommant de questions où l'absurde le disputait à l'obscène.

Celui qui semblait être le cerveau de l'opération s'excusait vaguement de tout ce cirque expliquant que c'était de la faute des "services", là-haut, où s'agitaient toutes sortes de gens qui nous en voulaient beaucoup. A ce jour, mes ravisseurs courent toujours. Certains faits divers récents attesteraient même qu'ils continuent de sévir en toute impunité.

Les sabotages sur les caténaires SNCF en France ont été revendiqués en Allemagne. Qu'en dites-vous?

Au moment de notre arrestation, la police française est déjà en possession du communiqué qui revendique, outre les sabotages qu'elle voudrait nous attribuer, d'autres attaques survenues simultanément en Allemagne. Ce tract présente de nombreux inconvénients : il est posté depuis Hanovre, rédigé en allemand et envoyé à des journaux d'outre-Rhin exclusivement, mais surtout il ne cadre pas avec la fable médiatique sur notre compte, celle du petit noyau de fanatiques portant l'attaque au cœur de l'Etat en accrochant trois bouts de fer sur des caténaires. On aura, dès lors, bien soin de ne pas trop mentionner ce communiqué, ni dans la procédure, ni dans le mensonge public.

Il est vrai que le sabotage des lignes de train y perd beaucoup de son aura de mystère : il s'agissait simplement de protester contre le transport vers l'Allemagne par voie ferroviaire de déchets nucléaires ultraradioactifs et de dénoncer au passage la grande arnaque de "la crise". Le communiqué se conclut par un très SNCF "nous remercions les voyageurs des trains concernés de leur compréhension". Quel tact, tout de même, chez ces "terroristes"!

Vous reconnaissez-vous dans les qualifications de "mouvance anarcho-autonome" et d'"ultragauche"?

Laissez-moi reprendre d'un peu haut. Nous vivons actuellement, en France, la fin d'une période de gel historique dont l'acte fondateur fut l'accord passé entre gaullistes et staliniens en 1945 pour désarmer le peuple sous prétexte d'"éviter une guerre civile". Les termes de ce pacte pourraient se formuler ainsi pour faire vite : tandis que la droite renonçait à ses accents ouvertement fascistes, la gauche abandonnait entre soi toute perspective sérieuse de révolution. L'avantage dont joue et jouit, depuis quatre ans, la clique sarkozyste, est d'avoir pris l'initiative, unilatéralement, de rompre ce pacte en renouant "sans complexe" avec les classiques de la réaction pure – sur les fous, la religion, l'Occident, l'Afrique, le travail, l'histoire de France, ou l'identité nationale.

Face à ce pouvoir en guerre qui ose penser stratégiquement et partager le monde en amis, ennemis et quantités négligeables, la gauche reste tétanisée. Elle est trop lâche, trop compromise, et pour tout dire, trop discréditée pour opposer la moindre résistance à un pouvoir qu'elle n'ose pas, elle, traiter en ennemi et qui lui ravit un à un les plus malins d'entre ses éléments. Quant à l'extrême gauche à-la-Besancenot, quels que soient ses scores électoraux, et même sortie de l'état groupusculaire où elle végète depuis toujours, elle n'a pas de perspective plus désirable à offrir que la grisaille soviétique à peine retouchée sur Photoshop. Son destin est de décevoir.

Dans la sphère de la représentation politique, le pouvoir en place n'a donc rien à craindre, de personne. Et ce ne sont certainement pas les bureaucraties syndicales, plus vendues que jamais, qui vont l'importuner, elles qui depuis deux ans dansent avec le gouvernement un ballet si obscène. Dans ces conditions, la seule force qui soit à même de faire pièce au gang sarkozyste, son seul ennemi réel dans ce pays, c'est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires. Elle seule, en fait, dans les émeutes qui ont suivi le second tour du rituel plébiscitaire de mai 2007, a su se hisser un instant à la hauteur de la situation. Elle seule, aux Antilles ou dans les récentes occupations d'entreprises ou de facs, a su faire entendre une autre parole.

Cette analyse sommaire du théâtre des opérations a dû s'imposer assez tôt puisque les renseignements généraux faisaient paraître dès juin 2007, sous la plume de journalistes aux ordres (et notamment dans Le Monde) les premiers articles dévoilant le terrible péril que feraient peser sur toute vie sociale les "anarcho-autonomes". On leur prêtait, pour commencer, l'organisation des émeutes spontanées, qui ont, dans tant de villes, salué le "triomphe électoral" du nouveau président.

Avec cette fable des "anarcho-autonomes", on a dessiné le profil de la menace auquel la ministre de l'intérieur s'est docilement employée, d'arrestations ciblées en rafles médiatiques, à donner un peu de chair et quelques visages. Quand on ne parvient plus à contenir ce qui déborde, on peut encore lui assigner une case et l'y incarcérer. Or celle de "casseur" où se croisent désormais pêle-mêle les ouvriers de Clairoix, les gamins de cités, les étudiants bloqueurs et les manifestants des contre-sommets, certes toujours efficace dans la gestion courante de la pacification sociale, permet de criminaliser des actes, non des existences. Et il est bien dans l'intention du nouveau pouvoir de s'attaquer à l'ennemi, en tant que tel, sans attendre qu'il s'exprime. Telle est la vocation des nouvelles catégories de la répression.

Il importe peu, finalement, qu'il ne se trouve personne en France pour se reconnaître "anarcho-autonome" ni que l'ultra-gauche soit un courant politique qui eut son heure de gloire dans les années 1920 et qui n'a, par la suite, jamais produit autre chose que d'inoffensifs volumes de marxologie. Au reste, la récente fortune du terme "ultragauche" qui a permis à certains journalistes pressés de cataloguer sans coup férir les émeutiers grecs de décembre dernier doit beaucoup au fait que nul ne sache ce que fut l'ultragauche, ni même qu'elle ait jamais existé.

A ce point, et en prévision des débordements qui ne peuvent que se systématiser face aux provocations d'une oligarchie mondiale et française aux abois, l'utilité policière de ces catégories ne devrait bientôt plus souffrir de débats. On ne saurait prédire, cependant, lequel d'"anarcho-autonome" ou d'"ultragauche" emportera finalement les faveurs du Spectacle, afin de reléguer dans l'inexplicable une révolte que tout justifie.

La police vous considère comme le chef d'un groupe sur le point de basculer dans le terrorisme. Qu'en pensez-vous?

Une si pathétique allégation ne peut être le fait que d'un régime sur le point de basculer dans le néant.

Que signifie pour vous le mot terrorisme?

Rien ne permet d'expliquer que le département du renseignement et de la sécurité algérien suspecté d'avoir orchestré, au su de la DST, la vague d'attentats de 1995 ne soit pas classé parmi les organisations terroristes internationales. Rien ne permet d'expliquer non plus la soudaine transmutation du "terroriste" en héros à la Libération, en partenaire fréquentable pour les accords d'Evian, en policier irakien ou en "taliban modéré" de nos jours, au gré des derniers revirements de la doctrine stratégique américaine.

Rien, sinon la souveraineté. Est souverain, en ce monde, qui désigne le terroriste. Qui refuse d'avoir part à cette souveraineté se gardera bien de répondre à votre question. Qui en convoitera quelques miettes s'exécutera avec promptitude. Qui n'étouffe pas de mauvaise foi trouvera un peu instructif le cas de ces deux ex – "terroristes" devenus l'un premier ministre d'Israël, l'autre président de l'Autorité palestinienne, et ayant tous deux reçus, pour comble, le Prix Nobel de la paix.

Le flou qui entoure la qualification de "terrorisme", l'impossibilité manifeste de le définir ne tiennent pas à quelque provisoire lacune de la législation française : ils sont au principe de cette chose que l'on peut, elle, très bien définir : l'antiterrorisme dont ils forment plutôt la condition de fonctionnement. L'antiterrorisme est une technique de gouvernement qui plonge ses racines dans le vieil art de la contre-insurrection, de la guerre dite "psychologique", pour rester poli.

L'antiterrorisme, contrairement à ce que voudrait insinuer le terme, n'est pas un moyen de lutter contre le terrorisme, c'est la méthode par quoi l'on produit, positivement, l'ennemi politique en tant que terroriste. Il s'agit, par tout un luxe de provocations, d'infiltrations, de surveillance, d'intimidation et de propagande, par toute une science de la manipulation médiatique, de l'"action psychologique", de la fabrication de preuves et de crimes, par la fusion aussi du policier et du judiciaire, d'anéantir la "menace subversive" en associant, au sein de la population, l'ennemi intérieur, l'ennemi politique à l'affect de la terreur.

L'essentiel, dans la guerre moderne, est cette "bataille des cœurs et des esprits" où tous les coups sont permis. Le procédé élémentaire, ici, est invariable : individuer l'ennemi afin de le couper du peuple et de la raison commune, l'exposer sous les atours du monstre, le diffamer, l'humilier publiquement, inciter les plus vils à l'accabler de leurs crachats, les encourager à la haine. "La loi doit être utilisée comme simplement une autre arme dans l'arsenal du gouvernement et dans ce cas ne représente rien de plus qu'une couverture de propagande pour se débarrasser de membres indésirables du public. Pour la meilleure efficacité, il conviendra que les activités des services judiciaires soient liées à l'effort de guerre de la façon la plus discrète possible", conseillait déjà, en 1971, le brigadier Frank Kitson [ancien général de l'armée britannique, théoricien de la guerre contre-insurrectionelle], qui en savait quelque chose.

Une fois n'est pas coutume, dans notre cas, l'antiterrorisme a fait un four. On n'est pas prêt, en France, à se laisser terroriser par nous. La prolongation de ma détention pour une durée "raisonnable" est une petite vengeance bien compréhensible au vu des moyens mobilisés, et de la profondeur de l'échec; comme est compréhensible l'acharnement un peu mesquin des "services", depuis le 11 novembre, à nous prêter par voie de presse les méfaits les plus fantasques, ou à filocher le moindre de nos camarades. Combien cette logique de représailles a d'emprise sur l'institution policière, et sur le petit cœur des juges, voilà ce qu'auront eu le mérite de révéler, ces derniers temps, les arrestations cadencées des "proches de Julien Coupat".

Il faut dire que certains jouent, dans cette affaire, un pan entier de leur lamentable carrière, comme Alain Bauer [criminologue], d'autres le lancement de leurs nouveaux services, comme le pauvre M. Squarcini [directeur central du renseignement intérieur], d'autres encore la crédibilité qu'ils n'ont jamais eue et qu'ils n'auront jamais, comme Michèle Alliot-Marie.

Vous êtes issu d'un milieu très aisé qui aurait pu vous orienter dans une autre direction…

"Il y a de la plèbe dans toutes les classes" (Hegel).

Pourquoi Tarnac?

Allez-y, vous comprendrez. Si vous ne comprenez pas, nul ne pourra vous l'expliquer, je le crains.

Vous définissez-vous comme un intellectuel? Un philosophe ?

La philosophie naît comme deuil bavard de la sagesse originaire. Platon entend déjà la parole d'Héraclite comme échappée d'un monde révolu. A l'heure de l'intellectualité diffuse, on ne voit pas ce qui pourrait spécifier "l'intellectuel", sinon l'étendue du fossé qui sépare, chez lui, la faculté de penser de l'aptitude à vivre. Tristes titres, en vérité, que cela. Mais, pour qui, au juste, faudrait-il se définir?

Etes-vous l'auteur du livre L'insurrection qui vient ?

C'est l'aspect le plus formidable de cette procédure : un livre versé intégralement au dossier d'instruction, des interrogatoires où l'on essaie de vous faire dire que vous vivez comme il est écrit dans L'insurrection qui vient, que vous manifestez comme le préconise L'insurrection qui vient, que vous sabotez des lignes de train pour commémorer le coup d'Etat bolchevique d'octobre 1917, puisqu'il est mentionné dans L'insurrection qui vient, un éditeur convoqué par les services antiterroristes.

De mémoire française, il ne s'était pas vu depuis bien longtemps que le pouvoir prenne peur à cause d'un livre. On avait plutôt coutume de considérer que, tant que les gauchistes étaient occupés à écrire, au moins ils ne faisaient pas la révolution. Les temps changent, assurément. Le sérieux historique revient.

Ce qui fonde l'accusation de terrorisme, nous concernant, c'est le soupçon de la coïncidence d'une pensée et d'une vie; ce qui fait l'association de malfaiteurs, c'est le soupçon que cette coïncidence ne serait pas laissée à l'héroïsme individuel, mais serait l'objet d'une attention commune. Négativement, cela signifie que l'on ne suspecte aucun de ceux qui signent de leur nom tant de farouches critiques du système en place de mettre en pratique la moindre de leurs fermes résolutions; l'injure est de taille. Malheureusement, je ne suis pas l'auteur de L'insurrection qui vient – et toute cette affaire devrait plutôt achever de nous convaincre du caractère essentiellement policier de la fonction auteur.

J'en suis, en revanche, un lecteur. Le relisant, pas plus tard que la semaine dernière, j'ai mieux compris la hargne hystérique que l'on met, en haut lieu, à en pourchasser les auteurs présumés. Le scandale de ce livre, c'est que tout ce qui y figure est rigoureusement, catastrophiquement vrai, et ne cesse de s'avérer chaque jour un peu plus. Car ce qui s'avère, sous les dehors d'une "crise économique", d'un "effondrement de la confiance", d'un "rejet massif des classes dirigeantes", c'est bien la fin d'une civilisation, l'implosion d'un paradigme : celui du gouvernement, qui réglait tout en Occident – le rapport des êtres à eux-mêmes non moins que l'ordre politique, la religion ou l'organisation des entreprises. Il y a, à tous les échelons du présent, une gigantesque perte de maîtrise à quoi aucun maraboutage policier n'offrira de remède.

Ce n'est pas en nous transperçant de peines de prison, de surveillance tatillonne, de contrôles judiciaires, et d'interdictions de communiquer au motif que nous serions les auteurs de ce constat lucide, que l'on fera s'évanouir ce qui est constaté. Le propre des vérités est d'échapper, à peine énoncées, à ceux qui les formulent. Gouvernants, il ne vous aura servi de rien de nous assigner en justice, tout au contraire.

Vous lisez "Surveiller et punir" de Michel Foucault. Cette analyse vous paraît-elle encore pertinente?

La prison est bien le sale petit secret de la société française, la clé, et non la marge des rapports sociaux les plus présentables. Ce qui se concentre ici en un tout compact, ce n'est pas un tas de barbares ensauvagés comme on se plaît à le faire croire, mais bien l'ensemble des disciplines qui trament, au-dehors, l'existence dite "normale". Surveillants, cantine, parties de foot dans la cour, emploi du temps, divisions, camaraderie, baston, laideur des architectures : il faut avoir séjourné en prison pour prendre la pleine mesure de ce que l'école, l'innocente école de la République, contient, par exemple, de carcéral.

Envisagée sous cet angle imprenable, ce n'est pas la prison qui serait un repaire pour les ratés de la société, mais la société présente qui fait l'effet d'une prison ratée. La même organisation de la séparation, la même administration de la misère par le shit, la télé, le sport, et le porno règne partout ailleurs avec certes moins de méthode. Pour finir, ces hauts murs ne dérobent aux regards que cette vérité d'une banalité explosive : ce sont des vies et des âmes en tout point semblables qui se traînent de part et d'autre des barbelés et à cause d'eux.

Si l'on traque avec tant d'avidité les témoignages "de l'intérieur" qui exposeraient enfin les secrets que la prison recèle, c'est pour mieux occulter le secret qu'elle est : celui de votre servitude, à vous qui êtes réputés libres tandis que sa menace pèse invisiblement sur chacun de vos gestes.

Toute l'indignation vertueuse qui entoure la noirceur des geôles françaises et leurs suicides à répétition, toute la grossière contre-propagande de l'administration pénitentiaire qui met en scène pour les caméras des matons dévoués au bien-être du détenu et des directeurs de tôle soucieux du "sens de la peine", bref : tout ce débat sur l'horreur de l'incarcération et la nécessaire humanisation de la détention est vieux comme la prison. Il fait même partie de son efficace, permettant de combiner la terreur qu'elle doit inspirer avec son hypocrite statut de châtiment "civilisé". Le petit système d'espionnage, d'humiliation et de ravage que l'Etat français dispose plus fanatiquement qu'aucun autre en Europe autour du détenu n'est même pas scandaleux. L'Etat le paie chaque jour au centuple dans ses banlieues, et ce n'est de toute évidence qu'un début : la vengeance est l'hygiène de la plèbe.

Mais la plus remarquable imposture du système judiciaro-pénitentiaire consiste certainement à prétendre qu'il serait là pour punir les criminels quand il ne fait que gérer les illégalismes. N'importe quel patron – et pas seulement celui de Total –, n'importe quel président de conseil général – et pas seulement celui des Hauts-de-Seine–, n'importe quel flic sait ce qu'il faut d'illégalismes pour exercer correctement son métier. Le chaos des lois est tel, de nos jours, que l'on fait bien de ne pas trop chercher à les faire respecter et les stups, eux aussi, font bien de seulement réguler le trafic, et non de le réprimer, ce qui serait socialement et politiquement suicidaire.

Le partage ne passe donc pas, comme le voudrait la fiction judiciaire, entre le légal et l'illégal, entre les innocents et les criminels, mais entre les criminels que l'on juge opportun de poursuivre et ceux qu'on laisse en paix comme le requiert la police générale de la société. La race des innocents est éteinte depuis longtemps, et la peine n'est pas à ce à quoi vous condamne la justice : la peine, c'est la justice elle-même, il n'est donc pas question pour mes camarades et moi de "clamer notre innocence", ainsi que la presse s'est rituellement laissée aller à l'écrire, mais de mettre en déroute l'hasardeuse offensive politique que constitue toute cette infecte procédure. Voilà quelques-unes des conclusions auxquelles l'esprit est porté à relire Surveiller et punir depuis la Santé. On ne saurait trop suggérer, au vu de ce que les Foucaliens font, depuis vingt ans, des travaux de Foucault, de les expédier en pension, quelque temps, par ici.

Comment analysez-vous ce qui vous arrive?

Détrompez-vous : ce qui nous arrive, à mes camarades et à moi, vous arrive aussi bien. C'est d'ailleurs, ici, la première mystification du pouvoir : neuf personnes seraient poursuivies dans le cadre d'une procédure judiciaire "d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", et devraient se sentir particulièrement concernées par cette grave accusation. Mais il n'y a pas d'"affaire de Tarnac" pas plus que d'"affaire Coupat", ou d'"affaire Hazan" [éditeur de L'insurrection qui vient]. Ce qu'il y a, c'est une oligarchie vacillante sous tous rapports, et qui devient féroce comme tout pouvoir devient féroce lorsqu'il se sent réellement menacé. Le Prince n'a plus d'autre soutien que la peur qu'il inspire quand sa vue n'excite plus dans le peuple que la haine et le mépris.

Ce qu'il y a, c'est, devant nous, une bifurcation, à la fois historique et métaphysique: soit nous passons d'un paradigme de gouvernement à un paradigme de l'habiter au prix d'une révolte cruelle mais bouleversante, soit nous laissons s'instaurer, à l'échelle planétaire, ce désastre climatisé où coexistent, sous la férule d'une gestion "décomplexée", une élite impériale de citoyens et des masses plébéiennes tenues en marge de tout. Il y a donc, bel et bien, une guerre, une guerre entre les bénéficiaires de la catastrophe et ceux qui se font de la vie une idée moins squelettique. Il ne s'est jamais vu qu'une classe dominante se suicide de bon cœur.

La révolte a des conditions, elle n'a pas de cause. Combien faut-il de ministères de l'Identité nationale, de licenciements à la mode Continental, de rafles de sans-papiers ou d'opposants politiques, de gamins bousillés par la police dans les banlieues, ou de ministres menaçant de priver de diplôme ceux qui osent encore occuper leur fac, pour décider qu'un tel régime, même installé par un plébiscite aux apparences démocratiques, n'a aucun titre à exister et mérite seulement d'être mis à bas ? C'est une affaire de sensibilité.

La servitude est l'intolérable qui peut être infiniment tolérée. Parce que c'est une affaire de sensibilité et que cette sensibilité-là est immédiatement politique (non en ce qu'elle se demande "pour qui vais-je voter ?", mais "mon existence est-elle compatible avec cela ?"), c'est pour le pouvoir une question d'anesthésie à quoi il répond par l'administration de doses sans cesse plus massives de divertissement, de peur et de bêtise. Et là où l'anesthésie n'opère plus, cet ordre qui a réuni contre lui toutes les raisons de se révolter tente de nous en dissuader par une petite terreur ajustée.

Nous ne sommes, mes camarades et moi, qu'une variable de cet ajustement-là. On nous suspecte comme tant d'autres, comme tant de "jeunes", comme tant de "bandes", de nous désolidariser d'un monde qui s'effondre. Sur ce seul point, on ne ment pas. Heureusement, le ramassis d'escrocs, d'imposteurs, d'industriels, de financiers et de filles, toute cette cour de Mazarin sous neuroleptiques, de Louis Napoléon en version Disney, de Fouché du dimanche qui pour l'heure tient le pays, manque du plus élémentaire sens dialectique. Chaque pas qu'ils font vers le contrôle de tout les rapproche de leur perte. Chaque nouvelle "victoire" dont ils se flattent répand un peu plus vastement le désir de les voir à leur tour vaincus. Chaque manœuvre par quoi ils se figurent conforter leur pouvoir achève de le rendre haïssable. En d'autres termes : la situation est excellente. Ce n'est pas le moment de perdre courage.

Propos recueillis par Isabelle Mandraud et Caroline Monnot

Article paru dans l'édition du 26.05.09