Il arrive un moment où, dans un périple, il est nécessaire de faire le point, de consulter sa boussole et de contempler le chemin parcouru. Musicien bourlingueur, Fred Frith fait justement ça : une halte sur le bord du chemin pour relire ses carnets de voyage et écrire, en passant, un nouveau chapitre de son œuvre. Sa plume prend la forme d’une guitare acoustique dont il joue ici en solo ; un fait tout sauf anecdotique pour Frith qui se livre à cet exercice pour la troisième fois seulement en 35 ans de carrière ! Faisant suite au séminal Guitar Solos (1974) et à Clearing (2001), To Sail, To Sail est une série d’improvisations épurées qui, paradoxalement, savent précisément où elles vont. Chaque morceau est dédié à une personne qui a été déterminante dans le cheminement musical de Frith : de Champion Jack Dupree, pianiste de blues de la Nouvelle Orléans, à Terry Riley, figure de la musique répétitive, en passant par son frère, Chris Frith, éminent chercheur en neurosciences ! Une affaire d’estime, d’affection et d’ouverture qui illustre un parcours fait de rencontres et d’explorations. L’album peut ainsi s’écouter comme une douce dérive à travers le monde intérieur et sans frontières du musicien. L’atmosphère initiale, ancrée dans un Far West imaginaire et nostalgique, laisse rapidement la place à un jeu d’archet et de percussions qui nous rapproche de l’improvisation libre européenne ("Weather Gauge"). On s’immerge ensuite carrément dans les traditions de la guitare classique andalouse ou de l’oud moyen-oriental ("Life On Venus"), on s’approche même du gamelan ("Mondays"), on revient à New York emprunter quelques cordes préparées à John Cage ("Circuit Breakers And Fuses") et on repart à mille lieues encore. Un disque lumineux et introspectif qui fait dire : heureux qui comme Fred Frith a fait un beau voyage...Octopus / Jean-Claude GevreyMultiplier les projets demeure pour l’intarissable Fred Frith une source de plaisir palpable, même après plus de quarante ans d’aventures musicales tous azimuts. Quelques mois après la sortie d’une œuvre ambitieuse qui ondoyait de la musique de chambre à des pièces plus expérimentales (Back To Life), To sail, To Sail dévoile le guitariste dans son plus simple appareil, en solo. Seize morceaux originaux dédiés à ses maîtres et modèles avérés (Barre Phillips, Robbie Basho, John Cage, Terry Riley, Camel Zekri, Paulo Angeli...) lui permettent de couvrir un large éventail d’influences stylistiques (blues, folk, gypsy, expérimental, africa, musique contemporaine, etc.) et de techniques instrumentales (steel guitare, picking, slap, sweeping, etc.), tel qu’ils les expérimente de longue date dans divers domaines. En quoi cet exercice en solitaire s’avère-t-il dès lors indispensable ? Tout d’abord, dans sa précieuse façon d’opérer une série de croisements, d’associations et connections sonores qui tiennent autant du hasard que de la nécessité. Jouées avec une guitare acoustique (Taylor 810), les compositions de To Sail, To Sail élaborent, les unes après les autres, avec un calme olympien et recueilli, un fabuleux itinéraire musical où le rapport concret à l’instrument débouche sur des perspectives purement fantasmatiques. Virtuosité et versatilité se combinent en de curieuses arabesques, d’étonnantes saillies tonales, de poignants chants de cordes (“Dog Watch” et son finale percussif hanté) et de troublantes pulsations organiques (les battements myocardiques de “Jeratch Orchestra”). Ensuite, au centre de la musique en train de se faire, et de s’inventer à travers une géographie de l’intime, le geste de jouer recoupe ici un voyage dans le temps conjugué à la première personne du singulier. Rendre hommage aux figures tutélaires se combine à un bouleversant autoportrait, une confidence dépourvue de la moindre autosatisfaction. Des premiers Guitar solos du début des années 1970 à cet admirable To Sail, To Sail, Fred Frith n’a cessé d’arpenter ses instruments en quête d’inattendu. Qu’il se rencontre aujourd’hui, sans fard et d’aussi belle manière, était bien la moindre des choses.Pinkushion / Fabrice Fuentes It’s not necessary for Fred Frith to be cryptic. Everything in this man’s music – from the demos of 1983’s Cheap At Half The Price to the complex interaction of improvisation and orchestral capacities (courtesy of Ensemble Modern) of the never enough praised Traffic Continues, released by Winter & Winter in 2000 – reveals the artist’s origins, undernourished-but-resistant elements of true incorruptibility merged with the unambiguous signs of an everlasting pursuit of instrumental knowledge which, to this day, reveals no trace of oxidation or, even worse, lassitude. In his work, advanced development and road bumpiness weigh in as opposite heavyweight poles of a vision that decades of activity and hundreds of recordings have characterized as divergent yet still familiar, to the point that the cognoscenti salute the new releases as something that’s more or less due to them, somehow considering them as “predictably meaningful” whenever they materialize. Not many musicians can brag about an analogous achievement.
However, despite this not being the first “recent” solo guitar album by FF - 2001’s Clearing, also on Tzadik, possibly my favourite outing in that sense - To Sail, To Sail is a little different in concept, completely different as far as the sonic source is concerned. The sixteen solos were in fact conjured up on the steel of a Taylor 810 acoustic, superbly recorded by Myles Boisen down to the smallest graze and rub of the fingers on the strings (and bridge, and tuning keys, and). Each track was dedicated by the guitarist to his “teachers”, which include brothers, influences and past/present collaborators: John Cage, Davey Graham, Terry Riley, Robbie Basho, Janet Feder and Chris Frith belong in the same ship. Sliding notes, open tunings, commonly acknowledged harmonic progressions and smoothly resonant, shimmering chords are as a part of Frith’s vocabulary as the on-the-table methods, and this is probably the first time in which we’re in the condition of appreciating the full extent of his adroitness on the instrument so comprehensively. Although not actually derivative of the referenced names’ styles, there’s no question in regard to Frith’s playing consciously alluding at the main inspirations, a sizeable portion of his personality added to every selection, that ineradicable explicitness which lets the expert listener recognize him after a couple of pitches, or scrapes for that matter. In those hands, the Taylor sounds like a berimbau, a double bass, a handful of dried rice dropped in a pan, a set of bouncy springs. Ear-piercing frictional movements, knocks on the guitar’s body and luminescent percussive cascades à la Laraaji are accepted as the most natural occurrence, because it’s all Frith in any case.
Sometimes the infringement of rules is attainable without excruciating pain, and acting as renegades to assert class in situations that aren’t exactly mainstream from the beginning is often fruitless. To Sail, To Sail’s democratic extremism, its unassuming bloomers, prove us the humanity - the vulnerability in a way - of a performer that doesn’t panic when trodden paths are abandoned, even if this means taking a few steps back to better envisage a future that - bet your house on it - will still incorporate him as a pivotal figure, regardless of any trend.
bagatellen / Massimo Ricci