“A bas les jours heureux !”
C’est le genre de choses qu’on laisse passer, à force. Il y en a tellement. Ils sont tellement «décomplexés»… La première fois, c’était en octobre dernier. Denis Kessler, ex-mao passé au capitalisme financier, ancienne éminence grise du baron Seillière lorsque celui-ci pilotait le Medef, lâchait cette mâle déclaration de guerre : «II faut défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance.» Qu’est-ce qu’elle venait faire là, la Résistance ?
Kessler s’en réjouissait : au fond, les différentes réformes engagées par Sarkozy, disait-il, «peuvent donner une impression de patchwork», mais «on constate qu’il y aune profonde unité à ce programme ambitieux» : défaire ce qu’ont fait les résistants, justement. Cette provoc’ avait fait quelques vagues, sans plus.
Et puis la semaine dernière, Charles Beigbeder a remis ça. Dans une tribune au « JDD » (27/1), le pédégé de Poweo a affirmé, l’air de rien, que selon lui le rapport Attali permettrait enfin d’en finir avec cette France «qui continue à vivre sur un modèle fondé en 1946, à partir du programme du Conseil national de la Résistance». Tiens, tiens. Lui et Kessler, même combat. Charles Beigbeder, le prototype du jeune loup moderne. L’homme qui veut tailler des croupières à EDF en vendant de l’électricité privée aux Français.
Il avait un beau titre, le programme des résistants : « Les jours heureux ». On comprend qu’il faille en finir d’urgence. Il était le résultat d’un compromis né entre tous les mouvements de résistance luttant contre l’occupant et les principaux partis politiques, dont le PC. On comprend que cela paraisse aujourd’hui insupportable. Il affichait de hautes ambitions. Entre autres, «la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine ; un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat ; une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours».
Insupportable, non ? On y trouvait d’autres projets complètement fous. Les résistants rêvaient que les enfants français puissent «bénéficier de l’instruction et accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents». Affreusement égalitariste !
Ils voulaient aussi que soit assurée «la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent». On comprend que ça énerve. Et aussi «l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie». Complètement ringard, non ?
On remercie MM. Kessler et Beigbeder de nous avoir annoncé franchement la fin des beaux jours, prévue pour l’après-municipales.
Jean-Luc Porquet
Le Canard Enchaîné, 6 février 2008, page 5.
5 commentaires:
la remise en cause du programme du CNR ou des acquis de mai 68, toutes ces petites phrases, tout ca, c'est un travail de sape du gouvernment, du medef, des partisans de l'ultra liberalisme pour demolir les fondements (qui s'effritent de plus en plus) du modele de societe francais pour les remplacer par l'individualisme, la flexibilité, l'egoisme, le merite ou des vieilles valeurs telles que travail, famille, patrie...tres inquietant tout ca...
philippe
Eh oui, justement, tres inquietant tout ca. Moi je vous ecris depuis l'Angleterre; faites gaffe au thatcherismes, c'est tout ce je puis dire. A mon avis, la France a une tradition republicaine tendance socialiste qui est a envier (oui, oui, je sais - mais comme principe, c'est pas mauvais, je vous assure). La fin des beaux jours, oui, c'est bien ca. Si ca ne rend pas, c'est foutu - voila votre avenir.
mais je vais re-ecouter AB maintenant, je me sentirai mieux.
j'ai vecu en angleterre pendant 10 ans de 97 a 07 donc j'ai vecu le "blairisme" en direct et c'est vrai que ca m'a fait vomir de voir blair parader avec sarko et ce dernier essayant d'embarrasser la gauche alors que personne en angleterre ne considere plus blair comme vraiment de gauche, s'il l'a jamais été...il etait tellement impopulaire que son propre parti depuis des années le poussait a passer la main...
ceci dit, avec le modele anglais, les choses sont claires (liberalisme et chacun pour soi) alors qu'en france depuis une decennie, a mon avis on a le cul entre deux chaises, entre etat providence a la francaise et liberalisme et on est perdant des deux cotés alors je déteste sarkozy, je ne le soutiens pas mais au moins les choses bougent d'une facon ou d'une autre...je m'emporte, tellement de choses a dire...bonne continuation,
philippe
@ Phillipe, l'auteur du 1er commentaire:
vous mettez le mérite comme un défaut au même titre que l'individualisme et l'égoïsme, alors que le mérite, c'est le fondement de la République et de ses valeurs.
J'espère que c'est du a une erreure d'inattention de votre part, sinon ça deviens très inquiétant...
Le "mérite" comme dans "salaire au mérite" reste la plus grande menace actuelle contre les fraternités.
La République ne survivra pas à ce "mérite" là.
Voyez ce qui en est actuellement, les béances criantes, les pertes de sens et de repères, l'unique marqueur de la "réussite" glorifié pour mieux tous nous désolidariser...
Il n'y a de "réussite" que collective, pour le plus grand nombre, qui implique "tous les nous".
Or, le critère de "réussite" au mérite n'est plus que le cache-sexe fièrement arboré de la glorification de la cupidité qui existe aussi en nous tous.
Bonne journée
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