~ Comment je me suis retrouvée dans un panier à salade avec 39 autres ! ~
Nous faire croire, vous faire croire, qu’il n’y avait que 400 000 personnes (65000 selon la police !) dans les rues de Paris, en cette journée du 29 janvier 2009, alors qu’à 18h, soit 4h après le début de la manif, des cortèges entiers se trouvaient encore bloqués à Bastille, tandis que d’autres étaient arrivés depuis 16h à Opéra ! Entre bastille, république puis opéra, un défilé continuel de milliers de personnes emplissant la rue continuellement…
Nous faire croire, vous faire croire, que des casseurs ont agis, avec violence… Des enfants, des mamies, des travailleurs, des papis, des jeunes zikos, des chiens, des étudiants… Oui, ça j’en ai vu ! Pas l’ombre d’un homme encagoulé, ou tout juste des hommes (et des femmes) écharpes sur le nez, la lacrymo, ça picotte…
Déroulement de la manif
Il est 14h30, nous sommes une quinzaine, une majorité d’étudiants du social, et nous nous faufilons joyeusement à travers une foule dense, au départ de Bastille. Nous nous attendons, cherchons certains cortèges, nous perdons, nous retrouvons, ou pas…
Vers 18h nous sommes plus que 8 environ, et nous apprenons que beaucoup ne sont pas encore partis de Bastille ! Nous sommes plutôt bien contents à l’idée que ce rassemblement ait mobilisé autant de monde.
Nous passons république, le temps de farandoler un coup… Quelques personnes en moins dans nos rangs, mais encore et toujours ce flot de gens incessant. Nous faisons république – opéra au pas de course, histoire de se réchauffer un coup.
Cette belle place de l’opéra
Nous arrivons enfin à opéra, vers 19h… Il n’y a pas tant de monde que ça, beaucoup sont repartis vers république. Nous sommes plus que trois, et décidons de rester un peu, car il n’est pas encore 20h, nous attendons donc le reste des manifestants, qui arrivent en permanence. Nous apprenons que certains voulaient marcher jusqu’à l’élysée… Ils ont vite été stoppés par de gentils représentants des forces de l’ordre. Ceux-ci, communément nommés CRS, déjouaient de temps à autres un lancé de cannette. Et puis, juste pour rire, car ils sont joueurs, ils nous chargeaient régulièrement, tout le monde se mettant à courir en sens inverse. A cette heure, il y a encore femmes (oui moi !), enfants, jeunes, vieux, mais toujours pas l’ombre d’un casseur. Ou si, ils sont deux, tout devant les CRS… Les cannettes, c’est eux. De l’autre côté, de celui où la manif arrive, un cordon des forces de l’ordre de la CGT se forme. Des gros bras qui nous crient de se calmer lorsque les CRS chargent. Qu’ils sont drôles !
Du Lexomil vaporisé sur la foule ?!
Définitivement calme les gens…
Sur la place, des camions avec des grosses antennes sur le toit, avec marqué « bfm tv » dessus notamment. Des journalistes avec des micros du même nom, se mettent devant les CRS pour dire que c’est le bordel (c’est vrai qu’avec eux, ça le devient vite, le bordel). C’est à peu près à ce moment que nous nous apercevons que la place est cernée par les tortues-ninja. Le cordon de la CGT s’est miraculeusement transformé en cordon de CRS, et nous nous rendons compte à ce moment que la manif a en fait été coupée, c'est-à-dire que la place de l’opéra étant encerclée, il n’est plus possible d’aller nulle part, sauf peut-être prendre le métro… Mais nous n’en avons pas du tout envie ! Nous, ce que nous voulons voir, c’est ce qui va se passer. Pourquoi, alors que manifester est un droit, l’ordre est donné aux flics (car il ne s’agit que d’ordres m’affirmera l’un d’entre eux !) de charger la foule, de l’encercler, d’attraper des gens, de les taper, de les embarquer… A ce moment, les choses commencent à s’échauffer donc, sans trop de violences de la part des manifestants qui commencent juste à en avoir marre, d’une part pour ceux qui ne sont pas encore sur opéra, de ne pas avoir pu atteindre leur but, et d’autre part pour ceux qui s’y trouvent (nous !), de se faire charger.
La technique très élaborée de notre amie la police, consiste à isoler des petits groupes de personnes en les encerclant. Et en les faisant évacuer vers des cars, très accueillant, portes grandes ouvertes. Certains s’interposent et se font emballer à leur tour.
Tout cela sans violence aucune de la part des manifestants. Nous assistons à une scène bien drôle, où des gens s’agenouillent devant une colonne de CRS, les mains en l’air. Ceux-ci ne bronchent pas, esquissent parfois un sourire, mais jamais nous regardent dans les yeux. Nous leur proposons de déposer leur attirail, de nous rejoindre, de se libérer, l’un d’entre eux étaient prêt à le faire ! (Utopie quand tu nous tiens) Il y a cette vieille dame aussi avec son petit buis sous un bras, qui n’hésite pas à aller « parler » avec les CRS…
D’où le titre de ce chapitre, mais où sont les casseurs ?! (C’est pour ça que j’étais venue : voir à quoi ils ressemblent ! Je suis repartie fichtrement déçue)
Stratégie de déplacement ou guerre de positions
Nous voilà donc à nous demander ce qu’on pourrait bien faire, maintenant qu’il est environ 21h, et que les CRS jouent encore au flic et aux bandits (tous seuls). Nous vient l’idée (qui avait je l’avoue fleuri depuis un bout de temps dans la tête de mes acolytes) de voir ce qui se passe derrière, c'est-à-dire là où la manif a été coupée. De loin nous pouvons apercevoir des hordes de CRS chargeant, toute matraque dehors, des hordes de manifestants, un peu en colère. Nous avons donc cette idée de prendre le métro, seule porte de sortie (je le rappelle, la place est encerclée) pour se rendre quelques stations plus loin, et voir ce qu’il se passe. Nous partons donc, accompagnés de CRS d’opéra, à richelieu drouot. Et là nous empruntons des petites rues pour retomber sur la grande avenue « où tout se passe ». Dans ces petites rues, des feux de camps disséminés ça et là, ainsi que des groupes d’hommes à oreillettes, les RG (renseignements généraux) qui renseignent donc certainement de manière générale, sur l’état des choses. Nous retombons sur l’avenue « critique » où se trouvent quelques badauds, beaucoup de papiers, des gens qui discutent, deux voitures quelques peu amochées (une smart et une voiture « de luxe »), et…(non je ne les ai pas oublié) nos chers amis les policiers en tenue de guerre. Mes deux acolytes discutent avec eux, tandis que je fais connaissance avec un monsieur, ma foi fort sympathique, qui me demande ce qui se passe, lui étant resté coincé durant une heure à l’intérieur d’un café (il n’est pas mort de soif). Il m’explique que la manifestation a été morcelée histoire de décourager les plus assidus qui ont été forcés de se disperser dans les rues adjacentes.
Nous sommes donc là, à attendre je ne sais quoi. Juste regarder ce paysage de « désolation » (horreur ! à notre gauche la banque lcl a été défoncée et taguée : « paie ta crise » qu’il est écrit dessus). Je décline l’invitation du gentil monsieur et de ses amis à venir boire un coup, et tente de convaincre mes acolytes d’un repli stratégiques vers un lit plus accueillant (ben oui, il fait froid, il fait faim, et surtout : il fait mal aux jambes !! Quand même une dizaine d’heure qu’on parcourt des kilomètres en piétinant !)
Encerclement : action discrète
Et là… C’est le drame ! Sans comprendre, ni réaliser ce qu’il se passe, je réalise, et en averti vite mes comparses, que nous sommes entourés des grosses tortues-ninja citées plus haut. Certes moins fun que les vraies, elle ont tout de même réussi l’exploit de nous encercler, et de se rapprocher dangereusement de notre petite personne. Et là, les gens sortent de leur torpeur et réalisent petit à petit à leur tour que nous sommes prisonniers de ces monstres noirs vivants. Nous sommes une cinquantaine, le cercle se resserre… Nous nous faisons quelque peu bousculer, l’un de nous disparaissant de temps à autres pour se faire tabasser hors du cercle. A ce moment, je gueule un petit coup, car on nous demande d’avancer alors qu’en fait nous ne pouvons avancer. Nous sommes comme des sardines prises au piège du filet de pêche.
Poissons, c’est cela… Il y a là deux touristes prises au piège et qui ne comprennent pas ce qui leur arrive. Le monsieur à la voiture « de luxe » est là aussi, venu constater les dégâts et parlementer avec les manifestants, il se retrouve lui aussi pris au piège du filet. Nous ne réalisons pas ce qui nous arrive.
Le panier à salades (vertes et bien mûres !)
Le cercle de nos très chers monstres à casques et à matraques s’ouvre enfin, sur les portes ouvertes d’un car de police. Un homme crie, demande ce qui se passe, et où l’on va : aucune réponse. Et ça chahute, et ça se bouscule. Le cercle se ressert encore et encore, on nous prie de nous diriger vers ces portes béantes… Un homme qui doit faire partie de toute cette flicaille (j’en ai jamais vu autant dans un champs de vision si restreint), nous crie qu’il ne s’agit que d’un contrôle d’identité, et qu’il nous est conseillé de coopérer. En avons-nous seulement le choix ? Notre seule crainte, être embarqués en tant que terroristes (tout va si vite de nos jours) et de passer ainsi au moins 72 heures en garde à vue. Je me dis que, plus vite je serais montée, plus vite je serais redescendue. Je propose donc mon sac à une tortue-ninja souriante postée à l’entrée des portes du car, qui me le fouille allègrement en me demandant si je n’aurais pas (par hasard) un objet dangereux à l’intérieur. Je lui demande alors ce qu’il entend par « objet dangereux ». C’est vrai, pour certains, et par ces temps houleux, même les livres le sont, et pour peu qu’il soit à tendance anarchiste, le chef d’inculpation pour terrorisme peut donc être retenu ! Heureusement le bouquin d’Hélène Massa et quelques tracts, ne constituant pas un objet dangereux à ses yeux, je peux enfin monter dans ce grand car qui nous est affrété.
Là on me demande sans trop de politesses, ma carte d’identité, que j’ai pris la peine de préparer. Je demande où l’on va, qu’est ce qu’on fait là : toujours pas de réponses. La représentation féminine des tortues-ninja, me passe ses mains sur le corps, des fois qu’un objet dangereux s’y soit glissé. Je fais donc mon entrée dans ce qui se nomme un car de police, tout de blanc vêtu, et sobrement aménagé.
Nous sommes une quarantaine, mes acolytes m’ayant rejoint, dans ce car, personne ne sachant où nous allons. Une infirmière à mes côtés, des vieux routards en face de moi, un petit couple tout apeuré dans le fond, un étudiant qui a ses partiels demain, un mec qui sortait du domac… Cette petite foule hétéroclite, la police en prend soin. Elle a effectivement pris la peine de mettre la clim, très utile par ces temps de canicule… Nous patientons là au moins une demi heure, un flic ferme une porte vitrée, nous séparant maintenant sensiblement d’eux, puis le car s’ébranle. Après quelques ratés, nous voilà partis pour une destination inconnue. Par le haut des fenêtres, où nous nous accrochons, un homme nous fait signe du trottoir que nous allons au commissariat du 18ème. Le chauffeur est un chauffard (Et oui il y’en a aussi chez la police). Deux ou trois coups de freins bien placés nous permettent de faire mieux connaissance avec notre voisin.
La haie d’honneur
Enfin, après quelques minutes nous voici arrivés à destination, semble t’il. Les portes s’ouvrent, et nous pouvons sortir « dans le calme et la bonne humeur ». Dehors, notre surprise est grande, nous sommes accueillis par une véritable rangée de tortues-ninja (elles commençaient à me manquer !). L’une de mes compagnonnes n’est pas contente, le conducteur du car lui a courageusement fait un doigt à travers sa cabine, se foutant allègrement de sa petite tronche de pauvre. Les CRS nous poussent un peu, nous demandent d’avancer plus vite. Nous sommes au commissariat du 18ème à Clignancourt. On nous ouvre les portes d’un chemin qui mène vers un sous sol. La glauquitude nous envahit. Tous les cinq mètres, un CRS. Nous descendons donc dans cette entre, pour arriver dans un couloir bordé de grandes cellules (un policier m’assurera qu’on est pas en prison. Mais comment appeler une salle avec des barreaux, que l’on ferme à clefs, avec des caméras braquées sur nous ?!). On nous dirige vers celle du fond.
Visite du commissariat de police du 18ème
Les tortues-ninja sont remplacées par des policiers, en uniformes et certains en civils. Là j’ai une envie sérieuse d’aller aux toilettes et je ne suis pas la seule. La demande est formulée, mais ça n’est pas possible. Je vais demander à l’entrée, et c’est la même réponse. Des flics en civil viennent chercher un par un les gens. C’est mon tour, on m’emmène dans une cellule adjacente, et le mec qui est venu me chercher, me propose de m’asseoir. Il a une feuille à la main et commence à la remplir péniblement (il n’a pas l’air de bien maîtriser l’écriture, je lui dis même et il en rigole). Je lui donne ma carte d’identité, il copie les noms, prénoms, adresses…Dans le car on nous a dit de rien signer. Le mec fini son taf et me fait relire ce papier intitulé : procès-verbal. Je lui explique que je ne sais pas ce que je fais là. Il me répond ne rien savoir lui-même, on lui a demandé de rester alors que le pauvre homme finissait initialement à 19h. Je vous laisse apprécier la prévoyance des flics, qui savaient donc, à 19h, que pleins de gens seraient arrêtés, à 22h ! (Tout est question de quotas) « Je ne fais qu’obéir aux ordres, on m’a dit de rester là, je reste là ». A ce niveau, on parle même plus d’intelligence. Le motif d’arrestation est donc « attroupement sur la voie publique ».
Le papelard donc, je vois une case cochée avec la mention : « refus de décliner son identité ». Je ne comprends pas, et je l’exprime. Le mec me répond que pour lui, j’ai présenté ma carte que maintenant. Je lui réponds qu’avant on se connaissait pas, et donc que j’aurais eu du mal à lui donner avant ! « Effectivement » me répond t’il. Je lui demande ce qui se passe si je refuse de signer et il me répond que je vais devoir attendre plus longtemps. Ca gueule un peu autour, je suis fatiguée, et j’ai surtout encore et toujours très mal aux jambes, je signe donc ce (putain !) de papier, et demande ce qu’ils en feront. Il me répond de ne pas m’inquiéter et que non, je n’aurais pas de double du papier. Je suis parachutée dans une troisième salle, où des fouilles à la chaîne sont pratiquées. Une femme en tenue virile peu commode me tâtonne sans ménagement, et me retourne mon sac tout en me demandant si je n’ai pas en ma possession quelques substances illicites.
On m’envoie enfin dans une quatrième salle, où je retrouve mes acolytes, qui ont subis le même traitement.
Il est minuit, nous sommes appelés, un par un, par nos noms. A mon tour, la dame flic me dit de la suivre. Je lui demande où l’on va, elle me dit être gentille et me raccompagner à la porte, pour pas que je me perde. Je lui répond ne pas trouver tout ce monde dans lequel elle évolue très gentil. Nous nous quittons sur ces mots.
Je retrouve mes compagnons d’infortunes dehors et nous rentrons, il est minuit et demi.
Etant donné les effectifs sécuritaires de ce soir, je suis contente de savoir où partent nos impôts. Toute cette mascarade étant bien sur très utile.
Guerre et paix
J’avais ce besoin d’écrire tout ça. Je n’ai rien exagéré ni dissimulé. Ca peut paraître sûrement banal aux yeux de certains, et révoltants aux yeux de d’autres. Je ne cherche pas à faire du dramaturge ou du voyeurisme à deux balles. J’avais simplement envie de raconter comment j’ai vécu cette journée. Je veux également, je l’avoue, attirer l’attention des gens qui auront eu le courage de me lire jusqu’au bout, sur l’engrenage dans lequel nous sommes pris. Celui d’un gouvernement, et plus largement d’un monde qui se dirige vers la répression, la sécurité, et ce qui en découle, la violence et la haine. Ce n’est pas nous, je n’ai jamais jeté une pierre à aucun moment, qui avons provoqué la violence, mais bien les CRS. Sous les ordres du grand petit chef. Ils n’ont pas arrêtés, à chaque fois que je me rapprochais d’eux d’être cyniques, violents, mesquins, se moquant de nous à certains moments… On peut penser que tout ça est aussi fait pour nous décourager de descendre dans la rue, mais ça m’a au contraire renforcé, donné une certaine rage et une envie de poursuivre le mouvement.
J’attends vos réactions, bonnes et/ou mauvaises !
Soso
(je me permets de reproduire ici ce courrier reçu dans ma boîte mél, qui doit circuler comme tant d'autres, face à toute cette information officielle)
Nous faire croire, vous faire croire, qu’il n’y avait que 400 000 personnes (65000 selon la police !) dans les rues de Paris, en cette journée du 29 janvier 2009, alors qu’à 18h, soit 4h après le début de la manif, des cortèges entiers se trouvaient encore bloqués à Bastille, tandis que d’autres étaient arrivés depuis 16h à Opéra ! Entre bastille, république puis opéra, un défilé continuel de milliers de personnes emplissant la rue continuellement…
Nous faire croire, vous faire croire, que des casseurs ont agis, avec violence… Des enfants, des mamies, des travailleurs, des papis, des jeunes zikos, des chiens, des étudiants… Oui, ça j’en ai vu ! Pas l’ombre d’un homme encagoulé, ou tout juste des hommes (et des femmes) écharpes sur le nez, la lacrymo, ça picotte…
Déroulement de la manif
Il est 14h30, nous sommes une quinzaine, une majorité d’étudiants du social, et nous nous faufilons joyeusement à travers une foule dense, au départ de Bastille. Nous nous attendons, cherchons certains cortèges, nous perdons, nous retrouvons, ou pas…
Vers 18h nous sommes plus que 8 environ, et nous apprenons que beaucoup ne sont pas encore partis de Bastille ! Nous sommes plutôt bien contents à l’idée que ce rassemblement ait mobilisé autant de monde.
Nous passons république, le temps de farandoler un coup… Quelques personnes en moins dans nos rangs, mais encore et toujours ce flot de gens incessant. Nous faisons république – opéra au pas de course, histoire de se réchauffer un coup.
Cette belle place de l’opéra
Nous arrivons enfin à opéra, vers 19h… Il n’y a pas tant de monde que ça, beaucoup sont repartis vers république. Nous sommes plus que trois, et décidons de rester un peu, car il n’est pas encore 20h, nous attendons donc le reste des manifestants, qui arrivent en permanence. Nous apprenons que certains voulaient marcher jusqu’à l’élysée… Ils ont vite été stoppés par de gentils représentants des forces de l’ordre. Ceux-ci, communément nommés CRS, déjouaient de temps à autres un lancé de cannette. Et puis, juste pour rire, car ils sont joueurs, ils nous chargeaient régulièrement, tout le monde se mettant à courir en sens inverse. A cette heure, il y a encore femmes (oui moi !), enfants, jeunes, vieux, mais toujours pas l’ombre d’un casseur. Ou si, ils sont deux, tout devant les CRS… Les cannettes, c’est eux. De l’autre côté, de celui où la manif arrive, un cordon des forces de l’ordre de la CGT se forme. Des gros bras qui nous crient de se calmer lorsque les CRS chargent. Qu’ils sont drôles !
Du Lexomil vaporisé sur la foule ?!
Définitivement calme les gens…
Sur la place, des camions avec des grosses antennes sur le toit, avec marqué « bfm tv » dessus notamment. Des journalistes avec des micros du même nom, se mettent devant les CRS pour dire que c’est le bordel (c’est vrai qu’avec eux, ça le devient vite, le bordel). C’est à peu près à ce moment que nous nous apercevons que la place est cernée par les tortues-ninja. Le cordon de la CGT s’est miraculeusement transformé en cordon de CRS, et nous nous rendons compte à ce moment que la manif a en fait été coupée, c'est-à-dire que la place de l’opéra étant encerclée, il n’est plus possible d’aller nulle part, sauf peut-être prendre le métro… Mais nous n’en avons pas du tout envie ! Nous, ce que nous voulons voir, c’est ce qui va se passer. Pourquoi, alors que manifester est un droit, l’ordre est donné aux flics (car il ne s’agit que d’ordres m’affirmera l’un d’entre eux !) de charger la foule, de l’encercler, d’attraper des gens, de les taper, de les embarquer… A ce moment, les choses commencent à s’échauffer donc, sans trop de violences de la part des manifestants qui commencent juste à en avoir marre, d’une part pour ceux qui ne sont pas encore sur opéra, de ne pas avoir pu atteindre leur but, et d’autre part pour ceux qui s’y trouvent (nous !), de se faire charger.
La technique très élaborée de notre amie la police, consiste à isoler des petits groupes de personnes en les encerclant. Et en les faisant évacuer vers des cars, très accueillant, portes grandes ouvertes. Certains s’interposent et se font emballer à leur tour.
Tout cela sans violence aucune de la part des manifestants. Nous assistons à une scène bien drôle, où des gens s’agenouillent devant une colonne de CRS, les mains en l’air. Ceux-ci ne bronchent pas, esquissent parfois un sourire, mais jamais nous regardent dans les yeux. Nous leur proposons de déposer leur attirail, de nous rejoindre, de se libérer, l’un d’entre eux étaient prêt à le faire ! (Utopie quand tu nous tiens) Il y a cette vieille dame aussi avec son petit buis sous un bras, qui n’hésite pas à aller « parler » avec les CRS…
D’où le titre de ce chapitre, mais où sont les casseurs ?! (C’est pour ça que j’étais venue : voir à quoi ils ressemblent ! Je suis repartie fichtrement déçue)
Stratégie de déplacement ou guerre de positions
Nous voilà donc à nous demander ce qu’on pourrait bien faire, maintenant qu’il est environ 21h, et que les CRS jouent encore au flic et aux bandits (tous seuls). Nous vient l’idée (qui avait je l’avoue fleuri depuis un bout de temps dans la tête de mes acolytes) de voir ce qui se passe derrière, c'est-à-dire là où la manif a été coupée. De loin nous pouvons apercevoir des hordes de CRS chargeant, toute matraque dehors, des hordes de manifestants, un peu en colère. Nous avons donc cette idée de prendre le métro, seule porte de sortie (je le rappelle, la place est encerclée) pour se rendre quelques stations plus loin, et voir ce qu’il se passe. Nous partons donc, accompagnés de CRS d’opéra, à richelieu drouot. Et là nous empruntons des petites rues pour retomber sur la grande avenue « où tout se passe ». Dans ces petites rues, des feux de camps disséminés ça et là, ainsi que des groupes d’hommes à oreillettes, les RG (renseignements généraux) qui renseignent donc certainement de manière générale, sur l’état des choses. Nous retombons sur l’avenue « critique » où se trouvent quelques badauds, beaucoup de papiers, des gens qui discutent, deux voitures quelques peu amochées (une smart et une voiture « de luxe »), et…(non je ne les ai pas oublié) nos chers amis les policiers en tenue de guerre. Mes deux acolytes discutent avec eux, tandis que je fais connaissance avec un monsieur, ma foi fort sympathique, qui me demande ce qui se passe, lui étant resté coincé durant une heure à l’intérieur d’un café (il n’est pas mort de soif). Il m’explique que la manifestation a été morcelée histoire de décourager les plus assidus qui ont été forcés de se disperser dans les rues adjacentes.
Nous sommes donc là, à attendre je ne sais quoi. Juste regarder ce paysage de « désolation » (horreur ! à notre gauche la banque lcl a été défoncée et taguée : « paie ta crise » qu’il est écrit dessus). Je décline l’invitation du gentil monsieur et de ses amis à venir boire un coup, et tente de convaincre mes acolytes d’un repli stratégiques vers un lit plus accueillant (ben oui, il fait froid, il fait faim, et surtout : il fait mal aux jambes !! Quand même une dizaine d’heure qu’on parcourt des kilomètres en piétinant !)
Encerclement : action discrète
Et là… C’est le drame ! Sans comprendre, ni réaliser ce qu’il se passe, je réalise, et en averti vite mes comparses, que nous sommes entourés des grosses tortues-ninja citées plus haut. Certes moins fun que les vraies, elle ont tout de même réussi l’exploit de nous encercler, et de se rapprocher dangereusement de notre petite personne. Et là, les gens sortent de leur torpeur et réalisent petit à petit à leur tour que nous sommes prisonniers de ces monstres noirs vivants. Nous sommes une cinquantaine, le cercle se resserre… Nous nous faisons quelque peu bousculer, l’un de nous disparaissant de temps à autres pour se faire tabasser hors du cercle. A ce moment, je gueule un petit coup, car on nous demande d’avancer alors qu’en fait nous ne pouvons avancer. Nous sommes comme des sardines prises au piège du filet de pêche.
Poissons, c’est cela… Il y a là deux touristes prises au piège et qui ne comprennent pas ce qui leur arrive. Le monsieur à la voiture « de luxe » est là aussi, venu constater les dégâts et parlementer avec les manifestants, il se retrouve lui aussi pris au piège du filet. Nous ne réalisons pas ce qui nous arrive.
Le panier à salades (vertes et bien mûres !)
Le cercle de nos très chers monstres à casques et à matraques s’ouvre enfin, sur les portes ouvertes d’un car de police. Un homme crie, demande ce qui se passe, et où l’on va : aucune réponse. Et ça chahute, et ça se bouscule. Le cercle se ressert encore et encore, on nous prie de nous diriger vers ces portes béantes… Un homme qui doit faire partie de toute cette flicaille (j’en ai jamais vu autant dans un champs de vision si restreint), nous crie qu’il ne s’agit que d’un contrôle d’identité, et qu’il nous est conseillé de coopérer. En avons-nous seulement le choix ? Notre seule crainte, être embarqués en tant que terroristes (tout va si vite de nos jours) et de passer ainsi au moins 72 heures en garde à vue. Je me dis que, plus vite je serais montée, plus vite je serais redescendue. Je propose donc mon sac à une tortue-ninja souriante postée à l’entrée des portes du car, qui me le fouille allègrement en me demandant si je n’aurais pas (par hasard) un objet dangereux à l’intérieur. Je lui demande alors ce qu’il entend par « objet dangereux ». C’est vrai, pour certains, et par ces temps houleux, même les livres le sont, et pour peu qu’il soit à tendance anarchiste, le chef d’inculpation pour terrorisme peut donc être retenu ! Heureusement le bouquin d’Hélène Massa et quelques tracts, ne constituant pas un objet dangereux à ses yeux, je peux enfin monter dans ce grand car qui nous est affrété.
Là on me demande sans trop de politesses, ma carte d’identité, que j’ai pris la peine de préparer. Je demande où l’on va, qu’est ce qu’on fait là : toujours pas de réponses. La représentation féminine des tortues-ninja, me passe ses mains sur le corps, des fois qu’un objet dangereux s’y soit glissé. Je fais donc mon entrée dans ce qui se nomme un car de police, tout de blanc vêtu, et sobrement aménagé.
Nous sommes une quarantaine, mes acolytes m’ayant rejoint, dans ce car, personne ne sachant où nous allons. Une infirmière à mes côtés, des vieux routards en face de moi, un petit couple tout apeuré dans le fond, un étudiant qui a ses partiels demain, un mec qui sortait du domac… Cette petite foule hétéroclite, la police en prend soin. Elle a effectivement pris la peine de mettre la clim, très utile par ces temps de canicule… Nous patientons là au moins une demi heure, un flic ferme une porte vitrée, nous séparant maintenant sensiblement d’eux, puis le car s’ébranle. Après quelques ratés, nous voilà partis pour une destination inconnue. Par le haut des fenêtres, où nous nous accrochons, un homme nous fait signe du trottoir que nous allons au commissariat du 18ème. Le chauffeur est un chauffard (Et oui il y’en a aussi chez la police). Deux ou trois coups de freins bien placés nous permettent de faire mieux connaissance avec notre voisin.
La haie d’honneur
Enfin, après quelques minutes nous voici arrivés à destination, semble t’il. Les portes s’ouvrent, et nous pouvons sortir « dans le calme et la bonne humeur ». Dehors, notre surprise est grande, nous sommes accueillis par une véritable rangée de tortues-ninja (elles commençaient à me manquer !). L’une de mes compagnonnes n’est pas contente, le conducteur du car lui a courageusement fait un doigt à travers sa cabine, se foutant allègrement de sa petite tronche de pauvre. Les CRS nous poussent un peu, nous demandent d’avancer plus vite. Nous sommes au commissariat du 18ème à Clignancourt. On nous ouvre les portes d’un chemin qui mène vers un sous sol. La glauquitude nous envahit. Tous les cinq mètres, un CRS. Nous descendons donc dans cette entre, pour arriver dans un couloir bordé de grandes cellules (un policier m’assurera qu’on est pas en prison. Mais comment appeler une salle avec des barreaux, que l’on ferme à clefs, avec des caméras braquées sur nous ?!). On nous dirige vers celle du fond.
Visite du commissariat de police du 18ème
Les tortues-ninja sont remplacées par des policiers, en uniformes et certains en civils. Là j’ai une envie sérieuse d’aller aux toilettes et je ne suis pas la seule. La demande est formulée, mais ça n’est pas possible. Je vais demander à l’entrée, et c’est la même réponse. Des flics en civil viennent chercher un par un les gens. C’est mon tour, on m’emmène dans une cellule adjacente, et le mec qui est venu me chercher, me propose de m’asseoir. Il a une feuille à la main et commence à la remplir péniblement (il n’a pas l’air de bien maîtriser l’écriture, je lui dis même et il en rigole). Je lui donne ma carte d’identité, il copie les noms, prénoms, adresses…Dans le car on nous a dit de rien signer. Le mec fini son taf et me fait relire ce papier intitulé : procès-verbal. Je lui explique que je ne sais pas ce que je fais là. Il me répond ne rien savoir lui-même, on lui a demandé de rester alors que le pauvre homme finissait initialement à 19h. Je vous laisse apprécier la prévoyance des flics, qui savaient donc, à 19h, que pleins de gens seraient arrêtés, à 22h ! (Tout est question de quotas) « Je ne fais qu’obéir aux ordres, on m’a dit de rester là, je reste là ». A ce niveau, on parle même plus d’intelligence. Le motif d’arrestation est donc « attroupement sur la voie publique ».
Le papelard donc, je vois une case cochée avec la mention : « refus de décliner son identité ». Je ne comprends pas, et je l’exprime. Le mec me répond que pour lui, j’ai présenté ma carte que maintenant. Je lui réponds qu’avant on se connaissait pas, et donc que j’aurais eu du mal à lui donner avant ! « Effectivement » me répond t’il. Je lui demande ce qui se passe si je refuse de signer et il me répond que je vais devoir attendre plus longtemps. Ca gueule un peu autour, je suis fatiguée, et j’ai surtout encore et toujours très mal aux jambes, je signe donc ce (putain !) de papier, et demande ce qu’ils en feront. Il me répond de ne pas m’inquiéter et que non, je n’aurais pas de double du papier. Je suis parachutée dans une troisième salle, où des fouilles à la chaîne sont pratiquées. Une femme en tenue virile peu commode me tâtonne sans ménagement, et me retourne mon sac tout en me demandant si je n’ai pas en ma possession quelques substances illicites.
On m’envoie enfin dans une quatrième salle, où je retrouve mes acolytes, qui ont subis le même traitement.
Il est minuit, nous sommes appelés, un par un, par nos noms. A mon tour, la dame flic me dit de la suivre. Je lui demande où l’on va, elle me dit être gentille et me raccompagner à la porte, pour pas que je me perde. Je lui répond ne pas trouver tout ce monde dans lequel elle évolue très gentil. Nous nous quittons sur ces mots.
Je retrouve mes compagnons d’infortunes dehors et nous rentrons, il est minuit et demi.
Etant donné les effectifs sécuritaires de ce soir, je suis contente de savoir où partent nos impôts. Toute cette mascarade étant bien sur très utile.
Guerre et paix
J’avais ce besoin d’écrire tout ça. Je n’ai rien exagéré ni dissimulé. Ca peut paraître sûrement banal aux yeux de certains, et révoltants aux yeux de d’autres. Je ne cherche pas à faire du dramaturge ou du voyeurisme à deux balles. J’avais simplement envie de raconter comment j’ai vécu cette journée. Je veux également, je l’avoue, attirer l’attention des gens qui auront eu le courage de me lire jusqu’au bout, sur l’engrenage dans lequel nous sommes pris. Celui d’un gouvernement, et plus largement d’un monde qui se dirige vers la répression, la sécurité, et ce qui en découle, la violence et la haine. Ce n’est pas nous, je n’ai jamais jeté une pierre à aucun moment, qui avons provoqué la violence, mais bien les CRS. Sous les ordres du grand petit chef. Ils n’ont pas arrêtés, à chaque fois que je me rapprochais d’eux d’être cyniques, violents, mesquins, se moquant de nous à certains moments… On peut penser que tout ça est aussi fait pour nous décourager de descendre dans la rue, mais ça m’a au contraire renforcé, donné une certaine rage et une envie de poursuivre le mouvement.
J’attends vos réactions, bonnes et/ou mauvaises !
Soso
(je me permets de reproduire ici ce courrier reçu dans ma boîte mél, qui doit circuler comme tant d'autres, face à toute cette information officielle)
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